arm190321-015

Représenté du 19 au 25 septembre 2019 à Nanterre-Amandiers, le spectacle Farm Fatale est en tournée le 26 et 27 novembre, dans le cadre du “Prager Theaterfestival Deutscher Sprache”, en République Tchèque. L’occasion de revenir sur cette parabole écologique et onirique créée par Philippe Quesne, qui résonne comme un acte de résistance au désastre climatique. Dans cette pièce, une communauté d’épouvantails fait du bruit pour résister au silence d’un monde où la vie a disparu. 

Au premier abord, le synopsis a des airs de good morning england : un gang d’irréductibles épouvantails résiste à l’apocalypse en entretenant une radio pirate qui diffuse des sons d’oiseaux disparus. Sans moineaux, sans humains, pas de travail. Russel, Globi, Sissi et Mitt sont au chômage. Ils n’ont d’autres choix que d’entrer en résistance écologique. La conscience politique de ces derniers survivants s’éveille lorsque Pécuchet, un épouvantail de manifestation, de ceux qui se brandissent au son des slogans, vient leur témoigner toute son admiration. Dès lors, l’émission radiophonique devient le lieu de défense des minorités : on y entend les témoignages des bonshommes de paille, il est question des carottes OGM trop souvent stigmatisées, on interviewe la dernière abeille en suisse-allemand.

Le spectacle part d’un sentiment de mélancolie, puisque l’ancien monde manque aux protagonistes. La lenteur de la scène d’exposition, la difficulté avec laquelle émergent les premières phrases, combinées à l’allure de gueule cassée que confèrent costumes et prothèses aux personnages, donnent l’impression de démarrer la représentation d’un absurde Fin de partie de Beckett dont on croit retrouver les personnages handicapés au milieu d’un désert où rien ne se passe. Philippe Quesne nous avait habitué aux scénographies fastueuses avec par exemple Crash Park, pièce dans laquelle il récréait un naufrage sur une île, qui tournait sur elle-même au milieu d’une imposante piscine dans laquelle trônait un avion ayant amerri. Ici, c’est l’inverse, il se dégage du plateau une vertigineuse sensation de vide. Quelques faux ballots de paille, deux trois sacs suspendus, et un fond blanc sur une scène peu profonde suffisent à donner la sensation d’un espace infini.

Résister à l’extinction

L’enjeu pour les personnages est de trouver le moyen de résister à l’extinction. En ce sens le spectacle est une hétérotopie clownesque, dans laquelle la triste fin d’un monde est prétexte à la réinvention d’un nouveau. Le vide est propice à l’onirisme dans ce biotope régi par une logique interne. À cet égard, les acteurs signent brillamment la création d’une nouvelle corporéité, marquée par la distance corps/voix. Leurs paroles sont captées par des micros HF, déformées et rediffusées dans des haut-parleurs. Les mots se parent d’un écho électronique et nasillard qui accentue l’étrangeté de ce non-lieu. Leurs corps-marionettes, et leurs visages masqués font penser aux présences fantomatiques des théâtres d’objets de Tadeuzs Kantor. Ils se déplacent, se saluent et communiquent suivant les règles propres de l’épouvantail, avec une certaine rigidité comique.

Si le discours politique qui incite à la préservation de l’environnement est très simple, la créativité avec lequel il est traité est réjouissante. Sur scène un panneau de signalisation indique « Umleitung », « déviation » en allemand. En effet, Farm fatale a l’art de la parabole. Le discours politique anti-glyphosate n’a rien de prescriptif ou de vindicatif mais a le charme d’une fable enfantine. Il offre au spectateur un récit symbolique où l’on tente de sauver poétiquement le monde en écrivant un rap pour épouvantail adressé à un agriculteur un peu trop véhément, en chantant “Stand by me” à une abeille où en constituant une fabrique d’œufs qui conservent le passé. Belle métaphore qu’est l’épouvantail. Face à l’urgence climatique leur comportement sème le désir de prendre parti, et de camper sur ses positions politiques, de tenir tête comme ils tiennent la pose au milieu d’un champ.

  • Farm Fatale, mise en scène de Philippe Quesne. Créée et interprété par Léo Gobin, Stefan Merki, Damian Rebgetz, Julia Riedler, Gaëtan Vourc’h.
  • Farm Fatale a été créée le 29 mars 2019 pour le répertoire des Münchner Kammerspiele, Munich. La pièce sera en tournée le 26 et 27 novembre 2019, au Prager Theaterfestival Deutscher Sprache, République Tchèque. Le 4 et 5 janvier 2020 à Santiago a Mil, Chili.

Baptiste Dancoisne