Un oisif toujours à l’oeuvre
René Fallet n’est pas de ces auteurs dont on vous conseille la lecture avec l’air de supériorité des fins lettrés.
René Fallet n’est pas de ces auteurs dont on vous conseille la lecture avec l’air de supériorité des fins lettrés. Avec son style classique, agrémenté d’argot des faubourgs, il fut classé parmi les romanciers « populistes », quand ce terme n’avait rien de déshonorant. Il désignait une école littéraire, attachée à dépeindre la vie quotidienne des milieux populaires. En 1950, Fallet remporte avec son premier roman Banlieue-sud Est le prix Eugène-Dabit du roman populiste. Il y raconte, presque à découvert, sa propre adolescence sous l’occupation. Courses de vélo, flipper, canulars téléphoniques et plans à quatre… tout semblait alors le préoccuper, sauf la guerre. A l’âge de 20 ans, où il connaît son premier succès littéraire, Fallet pense peut-être, comme son personnage Bernard Lubin, trouver le salut dans l’oisiveté et le seul loisir. Mais il confessera plus tard, dans un entretien, s’être rendu compte que seul le travail permet d’accéder au bonheur. « Pour un paresseux, c’est effrayant », ajoute-t-il, jamais avare d’un bon mot. Au cours de sa courte vie de 55 ans, il écrit plus d’une vingtaine de romans, des essais sur Brassens et le vélo, de la poésie, et même un très sensible conte pour enfant, Bulle.
Ses inspirations, l’artiste les puise essentiellement dans sa vie personnelle, animée à la belle saison par les parties de pétanques, la p êche et le vélo. Quand il ne raconte pas sa propre jeunesse à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne (Banlieue Sud-est) ou ses frasques amoureuses (L’Amour baroque, Y a-t-il un docteur dans la salle, l’Angevine), Fallet s’approvisionne dans la culture régionale du Bourbonnais, la terre de ses parents. L’abbaye de Sept-Fons, monastère trappiste, situé dans la bien nommée commune de Diou lui offre le décor du Braconnier de Dieu et Goubi, l’attachant bredin d’Un Idiot à Paris, s’inspire d’un personnage mythique de Jaligny-sur-Besbre, village bourbonnais où l’auteur passait tous ses étés.
Amitiés fidèles et beuveries sensationnelles
L’auteur prend un malin plaisir à voir ses personnages quitter leurs responsabilités pour adopter une vie légère, débarrassée de toutes contraintes familiales, professionnelles et même morales.
Et quand ça se complique avec les dames, chez Fallet, les amis ne sont jamais très loin. C’est le quatuor indivisible de Banlieue Sud Est qui traîne dans les rues, écume les parcs, les cinémas, sans que jamais leur amitié ne soit ébranlée : « Quand l’accord souffrait, point de friction ou désir contrarié, on mettait aux voix et le vaincu battait sa coulpe. » Même franche camaraderie au sein de la bande d’éclopés du Beaujolais nouveau, ou celle de la ferme de Jaligny dans Le Braconnier de Dieu. Infidèle en amour, René Fallet l’est en amitié, et ses personnages aussi. Mais l’harmonie ne saurait tenir sans les beuveries répétées, symbole ultime de fraternité. Elles sont légion chez notre écrivain. L’alcool se boit au bistrot, en bonne compagnie quand l’humeur est à la fête, se terminant souvent par une ultime chute, au pied d’un pommier ou dans un fossé. Ou chez soi, en solitaire, les soirs de rupture amoureuse. Fallet distinguait dans sa littérature la veine beaujolais – celle des amis – de la veine whisky, où se noient les amants éconduits. Dans ses romans, la boisson, en plus d’égarer les esprits, fait bien souvent vriller les personnages : un lendemain de cuite étant souvent le prélude d’une nouvelle destinée. Ainsi du chef d’entreprise adulé des femmes qui devient un clochard alcoolique, et du moine trappiste embrassant une carrière de paysan lubrique. L’auteur prend un malin plaisir à voir ses personnages quitter leurs responsabilités pour adopter une vie légère, débarrassée de toutes contraintes familiales, professionnelles et même morales. Comme la clique du Beaujolais nouveau, qui hésite à peine, sur les suppliques de la mère, à s’envoyer en l’air à tour de rôle avec une jeune handicapée nymphomane.
De René Fallet, quasiment disparu des librairies, reste un prix littéraire récompensant un premier roman, « écrit de préférence avec humour, sens critique et poétique ». Un jury de pré-sélection, en accord avec Agathe Fallet, l’épouse de l’auteur, désigne six romans présentés début mars au public, à l’occasion d’une distribution de soupe aux choux. C’est ensuite un jury populaire de 300 personnes qui élit le lauréat, au cours des Journées littéraires de Jaligny-sur-Besbre. Un prix finalement presque populiste, où rien ne sert d’avoir ses entrées au sein du gotha parisien. Proposer une œuvre de qualité est, pour une fois, amplement suffisant.
- René Fallet, Banlieue Sud-Est, coll. Folio, Gallimard, 384p., 1994.
- René Fallet, Ersatz, coll. Romans français, Denoël, 249 p., 1974.
- René Fallet, Le Beaujolais nouveau est arrivé, coll. Folio, Gallimard, 256p., 1979.
- René Fallet, Le Braconnier de Dieu, coll. Folio, Gallimard, 224p., 1986.
- René Fallet, Paris au mois d’août, coll. Folio, Gallimard, 224p., 1974.
- René Fallet, Y a-t-il un docteur dans la salle?, coll. Folio, Gallimard, 448p., 1984.