Pour sa première création sortie du Conservatoire National, Simon Roth présente à la MC93 Une jeunesse en été, récit d’un road-trip en auto-stop autour de la France à la rencontre d’inconnu.e.s de tous âges et tous milieux. Un spectacle documentaire choral, touchant et aux performances impeccables, qui peine cependant à dépasser les limites de sa forme.

Ce pourrait être n’importe où. Quelques pneus qui traînent, des palettes de chantier, une glissière d’autoroute. Le chant des cigales. Ce pourrait être n’importe où, et c’est précisément cela, partout à la fois. Le bord des routes, une ville, un village, quelque part en été, en France. Un jour comme les autres. Une famille, d’origine africaine, se retrouve à la mort de l’un des frères, partage un morceau de pizza : on se reproche de ne pas se voir assez, de ne pas être assez présent, et on célèbre le fait d’être ensemble. Être ensemble, se rassembler, se réunir : c’est le fil rouge d’Une jeunesse en été. Une scène d’ouverture qui donne déjà un indice sur ce que l’on s’apprête à voir : dans cette pièce, les interprètes ne vont pas jouer ce qu’ils et elles sont, ni des personnages qui leur ressemblent, mais celles et ceux qu’ils ont rencontrés.e.s.

Un « théâtre-vérité » sans prétention sociologique

Ce spectacle créé alors que des confinements et couvre-feux successifs s’abattaient sur la France, et que les théâtres étaient fermés, prend ses racines bien plus tôt. Inspiré par le film Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin – dont on verra des extraits au cours de la représentation –, dans lequel les réalisateurs parcourent les rue de Paris pour poser des questions à des inconnu.e.s, et par un premier voyage en stop quelques années auparavant, Simon Roth propose à plusieurs camarades tout.e.s issu.e.s du Conservatoire de faire le tour de l’Hexagone, pouce en l’air, afin de partir à la rencontre de toutes celles et ceux qu’iels ne croiseraient sans doute jamais dans leur vie de théâtre parisienne – « le commun des mortels », comme les nomme le metteur en scène, lui-même présent au plateau.

Les jeunes comédien.ne.s font revivre ces personnes sur le plateau, formidable démonstration du pouvoir d’incarnation du théâtre.

A ces compagnons de voyages éphémères, ils commencent par poser la question du bonheur (« Qu’est-ce qu’il vous manque pour être heureux.se ? »), puis celles du travail, des moyens de subsistance, des rêves, de l’amour, et bien d’autres, et enregistrent les conversations. Puis, avec les paroles récoltées, sans aucune réécriture et en conservant toutes les scories du langage, les 8 jeunes comédien.ne.s font revivre ces personnes sur le plateau, dans une formidable démonstration du pouvoir d’incarnation du théâtre. Dans un dispositif habile où l’on passe de la vidéo à la scène, sans plus très bien savoir de qui vient la voix qui nous parle, on voit ainsi apparaître au cours de la pièce, pêle-mêle, un SDF parisien, des coiffeurs, des zadistes, des travailleurs et travailleuses de tous âges, des écoliers et écolières, un éleveur, un maçon philosophe, et même des proches des acteurices… L’incarnation est souvent saisissante de précision. Un panorama qui traverse les lieux et les milieux, mais qui ne prétend à rien de plus qu’une poétique de la rencontre inattendue : comme le confie Simon Roth dans l’entretien du dossier de presse « il ne s’agit pas ici d’une approche sociologique ». Seulement du « théâtre-vérité », dans lequel les interprètes brillent par leur capacité à s’effacer derrière celui ou celle dont iels rapportent les paroles.

@ Christophe Raynaud de Lage

Du besoin de parler à l’envie d’être ensemble : refaire monde commun

Galerie de portraits, Une jeunesse en été fait parfois rire, mais pas d’un rire mesquin et moqueur : plutôt celui, bienveillant et heureux, par lequel s’exprime la reconnaissance d’une situation vraie. C’est le cas notamment lorrs d’une double séquence truculente en salons de coiffure où les acteurices incarnent, à l’aide de masques, d’un côté du plateau des vieux coiffeurs-rockeurs dissertant sur leurs amours passés, de l’autre côté une coiffeuse ivoirienne de Strasbourg-Saint-Denis interrogée sur son petit ami – les deux scènes se faisant écho comme à travers le miroir du salon. La pièce est également très souvent touchante, dans sa manière humble de nous faire entendre les confessions intimes, les rêves envolés et les espoirs déçus de personnes ordinaires (mais jamais banales). Des moments de réflexions de l’équipe elle-même sur le projet, sa mise en œuvre et sa forme viennent entrecouper les interviews, pour ne pas faire oublier que toute cette vérité ne nous parvient que selon certaines conditions et dans un certain cadre, et que celui-ci fut et peut encore être objet de discussion et de critique – qu’aucun objet artistique, fût-il nourri du réel même, n’est tout à fait neutre dans sa construction et sa présentation.

Ce qui s’affirme dans ces paroles est bien une même vulnérabilité et un même attachement à ce qui nous lie : l’envie de retrouver des communs.

Surtout, toutes les rencontres semblent témoigner d’un besoin vital partagé. Car ce qui s’affirme dans ces paroles qui se livrent et ces confidences qui s’expriment, par-delà les couches sociales, les âges et les genres, c’est bien une même vulnérabilité et un même attachement à ce qui nous lie, ce besoin d’être ensemble, proches, si durement mis à mal par le Covid et la batterie de mesures gouvernementales… Alors, ce désir finit par être nommé, au cours d’une discussion sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : c’est l’envie de retrouver des communs. De remettre au centre les relations. C’est dans ces passages, où se fait jour un horizon politique à cette entreprise documentaire, que le spectacle acquiert le plus de force.

Néanmoins, malgré une partie finale plus débridée, dans laquelle un débat de famille prend des airs d’opéra, et qui coche certains attendus du spectacle choral, Une jeunesse en été peine à dépasser son aspect « enchaînement de vignettes » et sa célébration un peu trop évidente de la beauté de l’inattendu et de l’humanité dans ses différences. On aurait sans doute souhaité que de ce catalogue de rencontres émerge un peu plus qu’une simple restitution du réel, toute émouvante et bien faite qu’elle soit. Les quelques passages qui explorent ainsi ce qu’une telle incarnation implique pour l’acteurice, la place et le rôle de l’art dans la société d’aujourd’hui, ou encore ce que ces rencontres nous apprennent de la nature profonde des vies humaines, nous font ainsi regretter ce que cela aurait pu donner s’ils avaient été plus développés. Demeure néanmoins ce voyage sur les chemins de traverse, ce tour de la France en 1h45, généreux, surprenant et jamais ennuyeux, à la découverte d’hommes et de femmes dans leur plus franche et inébranlable authenticité.

  • Une jeunesse en été, mise en scène Simon Roth, avec Marushka Jury, Saïd Ghanem, Bénicia Makengélé, Lucie Manzipoz, Richard Legall, Geert van Herwijnen, Rony Wolff et Chloé Zufferey, jusqu’au 14 janvier 2023, à la MC93 à Bobigny.

Crédit photo : @ Christophie Raynaud de Lage