La galerie Vallois rend hommage jusqu’au 1er avril à Boris Zaborov. C’est l’occasion de revoir les œuvres de l’artiste mort le 20 janvier 2021, ses peintures étranges inspirées de vieux daguerréotypes, ces grandes sculptures de bronze autour de l’objet livre et, sa dernière grande toile qui est un hommage à Florence, la ville qui accueille en sa galerie des offices l’autoportrait du peintre.

Enfin ! Voilà deux ans que nous attendions l’exposition qui allait rendre hommage au peintre qui par sa langue particulière a inauguré et orienté le siècle en peinture. Oui, nous avons l’audace de positionner Zaborov comme le prophète qui permet au figuratif de fondre dans l’abstraction, d’épouser l’improvisation, la libre figure. Le siècle sera marqué par cette quête d’une peinture figurative qui manifeste sa grâce dans l’instant précis de l’amorce de son effacement, dans sa tentative d’absorption dans un mur d’abstraction.

Nous avons jusqu’au 1er avril pour voir l’hommage au maître. Il faut aller à la Galerie Vallois à Paris VI. Quelle émotion d’être là, plongés dans l’univers de Boris Zaborov. Nous sommes privilégiés d’en être. Tout nous appelle en chuchotant avec obstination, chaque tableau nous hypnotise. Nous avons le sentiment d’entrer dans l’arche, une capsule de civilisation pour les siècles des siècles, « Tout cela étant au fond le maillon de la chaîne ininterrompue qu’est la culture, et peut-être la seule justification de notre présence sur terre. » (Boris Zaborov)

Tout nous appelle en chuchotant avec obstination, chaque tableau nous hypnotise. Nous avons le sentiment d’entrer dans l’arche, une capsule de civilisation pour les siècles des siècles

Un peintre entré de son vivant à la Galerie des Offices en 1998

À notre époque sans mémoire vive, il faut commencer par rappeler qui est Boris Zaborov mort le 20 janvier 2021. Né à Minsk en 1935, Boris Zaborov. est passé par les académies des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et de Moscou et commence par illustrer des livres et concevoir des décors de théâtre. En 1981, il quitte l’URSS pour Paris afin de pouvoir se consacrer entièrement à la peinture. Dans les années 1980-90, des expositions personnelles ont lieu dans des galeries en Europe, aux États-Unis, au Japon. À Paris, la peinture de Boris Zaborov retient l’attention de la galerie Claude Bernard, le galeriste disparu le 16 novembre dernier et qui accueillit sur ses murs Balthus, Bonnard, Dubuffet, Truphémus… En 2008, Boris Zaborov entre de son vivant dans un des plus grands musées du monde, la galerie des Offices. Cette dernière acquiert une œuvre de 1998, L’artiste et son modèle pour l’exposer dans la tradition avec d’autres autoportraits de grands maîtres.

Zaborov, Quatre livres et une montre, bronze.

Sédimentation et traces de civilisation partout

La première fois que Boris Zaborov avait exposé à la galerie Vallois était en 2002. Un peu plus de dix ans plus tard, nous replongeons dans tout l’univers du peintre, dans la douloureuse et douce épaisseur de ses souvenirs. Il y a à la galerie Vallois à la fois des peintures et des bronzes. Les bronzes sont un hommage fait aux livres par Zaborov, les livres qui furent les premiers objets à recevoir son travail. A la galerie Vallois, ils sont comme des sentinelles, des gardiens de musée attentifs. Des casses d’imprimerie et autres objets insolites s’y collent comme des fossiles, des traces de civilisation. Ils sont tellement solides, en contraste avec les êtres qui ne cessent de disparaître sur les tableaux. Il est possible que les livres de bronze veillent les disparus et les futurs disparus. La pièce maîtresse de l’exposition est le dernier tableau de Boris Zaborov peint en 2020, qui patientait dans son atelier sur le chevalet abandonné depuis sa mort. Il s’agit d’un hommage à la ville de Florence, à l’âge d’or du quattrocento, comme une vaste fresque de près de 2 mètres de long, où les éléments du tableau semblent raconter la civilisation qui se dépose à chaque époque, il y a superposition, et rien ne disparait jamais totalement, il y a sédimentation.

Le swing de Zaborov place abstraction et figuratif en équilibre

Zaborov, Deux-filles-avec-une-poupee

Les autres tableaux présents portent la marque de fabrique du maître. Ils sont portraits d’anonymes fantomatiques, inspirés de vieux daguerréotypes, visages posés sur un mur à la fois dévorateur et révélateur. Sa peinture nous mure, impossible d’être bavards. Soudain, la présence du dessin surprend, des traits viennent sauver l’anonyme, des traits contre l’oubli. Il faut se souvenir qu’il y a eu quelqu’un. Boris Zaborov parlait de l’homme comme la diversité infinie du mystère. Révéler la précarité de son existence et sanctuariser l’être dans le même mouvement est donc bien le dessein du peintre.

L’artiste et son modèle de 1998 est reproduit en évocation dans d’autres œuvres, comme dans la série des « cartes postales », et l’ironie joyeuse du peintre y est palpable. Cela ressemble à la jouissance du génie conscient de son talent. Cela révèle également le swing du maître. Le musicien Kirill Zaborov, le fils du peintre, avait expliqué que le fond abstrait des toiles de Boris pouvait être vu comme une grille d’accords, et le discret dessin qui essaye de s’en sortir, comme le motif qu’il livre. Le tableau est une interprétation du peintre. L’improvisation, c’est l’autre nom de l’incarnation, l’inachèvement de la création. L’homme, c’est l’accident qui arrive à la perfection, c’est l’aventure amoureuse de Dieu. Boris Zaborov n’a donc pas opposé abstraction et figuratif dans ses tableaux, il les a posés en équilibre, en accords dans la langue qu’il a inventée.

Hommage à Boris Zaborov (1935-2021) – du 2 mars 2023 au 1er avril 2023, Galerie Vallois, 41 rue de Seine, 75006 PARIS, www.galerierobertvallois.com

Illustration : Boris Zaborov, Hommage à Florence

Rodolphe DUPUIS