Nikkie, qui tient le compte le compte à punchlines sur Instagram Plaquemoisurtonmur, est une jeune autrice qui n’a pas froid aux mots. Dans cette fausse adresse au lecteur, elle revient sur le carnage humain qu’organise l’entreprise, dont les méthodes de crime sont mieux connues sous le nom de « management ».
Un texte corrosif et percutant, au style enflammé !
Sous la forme d’une adresse au lecteur, percutante et corrosive, elle explique :
Ça t’est déjà arrivé ? Faire un burn-out. Sache que si ce n’est pas le cas, ça viendra. Il est en chemin, mais comme la chlamydia, tu n’en ressens pas encore les symptômes.
Burn-out, emprunté de l’anglais, signifie : brûler de l’intérieur. C’est beau, c’est chaud, ça a le goût de l’orgasme, mais ce ne sont là que des mots. En réalité, ça peut tout aussi coller à un repas durant lequel tu aurais abusé de la harissa, ta nuit passée assis s’en souvient. Ouais, ça fait assez mal au cul un burn-out. Ça t’empêche même clairement de le bouger de ton lit à un moment.
Il survient sans prévenir, comme un trop-plein un matin. Une sorte de lendemain de cuite qui dure depuis mille ans. Ça te suce le sang, t’es vide. Dracula, c’est le monde de l’entreprise qui plante ses dents dans ta moelle jusqu’au gland. Ça suce et c’est pas ton pied que tu prends.
Tu es conditionné à être rapide au travail, un jour, tu deviens lent. Usain Bolt mal entraîné et c’est le drame. Tu n’es plus capable et tu te sens coupable. Ce qui est drôle, c’est que tu t’autoflagelles, tu penses à tout ce qu’il te reste à faire au boulot sans imaginer une seconde que tu passes de la pommade à ton bourreau.
Tu crois que tout dépend de toi, que le monde va arrêter de tourner si tu n’y vas pas, alors que clairement, la roulette, c’est toi. Comme les autres, tu fais partie des numéros, et tu espères mieux t’en tirer. Au milieu du rouge et du noir, tu penses que tu es le seul à être la case verte et que la petite bille n’a aucune chance de tomber sur toi. Malheur, c’est sur toi que ça tombe.
Clairement, tes chances d’y échapper ne sont pas proportionnelles à tes muscles ou à la taille de ton cerveau. Le mal vient du dessus, il te happe avec sa cape, et c’est pas de ta faute si la situation t’échappe. On ne t’a pas appris à t’en méfier, à le reconnaître. L’entreprise te pare à avoir une tenue conventionnelle. Tu la cherches au fond de ce dressing organisé dans lequel Fukushima aurait mis le nez. T’as la tête au fond de l’armoire avec tes piles de fringues qui s’écroulent et tu penses encore que tu n’as rien à te mettre pour ton date. Tu cherches quoi mettre pour te la prendre bien au fond des reins, mais tu ne saisis toujours pas que c’est l’entreprise qui te la met bien. À la seule différence qu’elle n’a pas prévu de lubrifiant après 23 heures. Juste des mails que tu laisses passer comme dans du beurre.
Ah oui, les mails ? Tu t’en rappelles ? Tu en reçois des rushs. Environ 67 par heure, tous inutiles, tous décousus, multitudes éparses de conversations croisées dont tu ne saisis ni le contenu ni le fond. T’es dans une soupe au milieu des croûtons. Les mails, ce bouquet de roses poudrées aux épines bien aiguisées.
Ta hiérarchie te demande dans un grand sourire de ne pas les regarder de chez toi mais te suggère quand même que c’est mieux si tu prends connaissance de tous ces messages digitaux avant de venir au boulot. Il faut toujours laisser une trace pour qu’on puisse t’engueuler en te disant que tu étais prévenu même si c’était il y a cinq minutes et qu’il te reste encore 64 mails à traiter avant de pouvoir enfin tomber dessus. Surtout, n’envoie pas de mail si, un jour, tu comptes te suicider. Il y a de fortes chances pour que les gens arrivent largement après ton décès.
En entreprise, tu n’arriveras jamais assez tôt et ne partira jamais assez tard sans avoir le droit à un regard réprobateur quant au fait que tu puisses avoir une vie à l’extérieur.
À dépenser autant d’énergie, tu te sens comme Bruce Willis dans Die Hard alors que tu ressembles à Mia Wallace en train de faire une overdose sur le tapis du salon. Ton cerveau, c’est un Tarantino sans effets spéciaux qui te demande si tu ne vas pas finir par sortir un lance-flammes pour fumer ta hiérarchie. À la différence que ta vie n’est pas un film et tu te contentes de chasser ces viles pensées qui brusquent ton coma pour continuer de remuer ta touillette dans ton gobelet. Good mood.
L’entreprise est généralement réunionite car il faut parler bien plus qu’agir. On n’est pas bien là, détendu du gland, assis à perdre du temps, en brassant du vent pour faire semblant d’en gagner ? Il y a des briefs pour parler des briefs, des réunions pour parler des réunions, des points pour parler des points, des ajustements prioritaires pour ajuster les priorités.
Entendons-nous bien, tout est prioritaire. À toi de prioriser les priorités allant sur une échelle graduée imaginaire de danger de mort, à priorité absolue, à grosse alarme, à attention ça urge, à on est large mais c’était pour hier.
Ton téléphone, c’est une bombe à retardement. Quand tu as la chance d’avoir un téléphone professionnel, sinon ton numéro perso est divulgué à tout un sombre réseau. Des groupes WhatsApp par kilos, des conversations à prix gros avec en prime, des appels à peine voilés aux sextos.
Ça vibre, ça sonne toutes les huit secondes dans ta poche avec ta hiérarchie qui te surveille, tes équipes en veille, des clients pleins d’oseille. Tu voudrais le mettre sous cloche, il est pire que ta sonnerie de réveil. Pas de répit, pas de repos, tu te retiens de ne pas le fracasser sans préavis sur ce qui te sert de bureau.
Tes cernes deviennent des pistes de ski capables d’accueillir les épreuves des Jeux Olympiques d’hiver, ton teint aussi frais que la cave d’un troisième sous-sol bien austère. T’es juste éclaté au sol mais tu te le caches pour rester à l’image du cadre dynamique.
Un jour, le sort te rattrape. La santé passée à la trappe se permet de te filer deux trois claques. C’est trop tard, tu as déjà enterré ta dignité, ta confiance en toi, ta joie et tes jolies capacités. Et ça, l’entreprise, elle n’en a rien à secouer. Tout le monde se remplace, elle ira shaker quelqu’un d’autre à ta place.
Et ça, personne n’en a rien à foutre. Tu es un pion. C’est la putain de sélection naturelle, le turn-over façon rapace. Bienvenue dans l’emprise de l’entreprise.