Écrit, réalisé et interprété par Jesse Eisenberg, tourné dans la Pologne d’où a immigré sa famille, A Real Pain, deuxième film de l’acteur devenu réalisateur, est de loin son projet le plus personnel. Comédie dramatique en forme de road trip sur la mémoire de la Shoah, portrait de famille à fleur de peau, le film brouille les genres et frappe en plein cœur.

A Real Pain est d’abord la comédie un peu potache de deux cousins que tout oppose. David Kaplan (Jesse Eisenberg), employé modèle, papa dévoué, est le type même du jeune actif new-yorkais bien sous tous rapports, quoique passablement pressé, dépassé, toujours au bord de la rupture ; Benji Kaplan (Kieran Culkin) au contraire est loin du gendre idéal : sans emploi, grand fumeur de joints, il crèche à l’année dans le sous-sol aménagé de ses parents, sans intention d’en partir et sans plan d’avenir bien précis. A Real pain joue de ce ressort classique des cousins que tout oppose, du cool kid qui profite d’un voyage pour dévergonder un peu son cousin coincé. À ce postulat de buddy movie classique, de film de potes, le film d’Eisenberg ajoute le décalage grinçant d’un road trip d’un genre particulier : si le cousin trash est a real pain (comprenez : in the ass), les Kaplan, sur les traces de leur grand-mère juive, vont se confronter à une douleur autrement réelle, celle de la Shoah.
Holocaust Tour
Un banal couple de retraités, une divorcée californienne, un survivant du génocide rwandais converti au judaïsme : dans le hall d’un hôtel de Varsovie, le tourisme de la mort de masse a rassemblé un groupe bizarrement assorti, réuni par le même désir douloureux de comprendre. Une fois les présentations faites, James, leur guide britannique, embarque tout ce petit monde dans une série de visites soigneusement orchestrées, à la découverte de la grande catastrophe du XXe siècle. La musique de Chopin, parfois joyeuse, plus souvent mélancolique (dans l’interprétation du pianiste israëlo-canadien Tzvi Erez), accompagne les images paisibles de l’ancien ghetto de Varsovie, des ruelles colorées de Lublin, du vieux cimetière juif et des campagnes polonaises. Le soleil brille, le groupe est très joyeux : « Essayez, dit le guide, de vous représenter ces quartiers sans penser à la fin tragique » – vaste programme.
Et pendant un moment, dans le camp de la mort, le road movie s’effondre sur lui-même, la fiction même s’abîme.