Paris fut, cet été et cette rentrée, le lieu de rassemblement de l’œuvre du couple Newton. En effet, le Grand Palais organisait une rétrospective de l’œuvre d’Helmut qui dans le début des années soixante a complètement bouleversé le monde de la photographie de mode en s’affranchissant des cadres et en transgressant les codes imposés par le style. Cette exposition est conçue par sa femme alors que la Maison Européenne de la Photographie rassemble jusqu’au 4 Novembre les œuvres de June sous le pseudonyme d’Alice Springs. Si une peinture de Sonia ou Robert Delaunay peut être à l’œil d’un novice difficilement différentiable, il en va à l’inverse pour le couple de photographes Newton. En effet, même si Alice Springs commença sa carrière de photographe grâce à son mari, ni son style ni les sujets traités sont en un point similaires
Au Grand Palais, on a pu admirer ces photos de mode sortant de l’ordinaire aspect lisse qui caractérise bien souvent le genre. L’homme a toujours su nous présenter des clichés provocants puisque presque toujours associés à l’érotisme. Un malaise peut par conséquent nous envahir quand nous nous prenons à penser que nous sommes tous les voyeurs du sujet photographié. Ainsi les femmes légèrement ou complètement dénudées prenant des poses suggestives sont omniprésentes mais jamais ne seront considérées sous l’objectif comme simple objet sexuel. Bien au contraire, la puissance et l’indépendance sont sensibles dans chacun des clichés. Comme on peut le voir dans la photo suivante.
De même, quand ce n’est pas la nudité qui pourrait nous gêner, c’est la situation qui donne toute l’originalité et l’aspect provoquant de ces clichés. « Sie kommen » (photo de couverture) en est l’exemple frappant puisqu’il est constitué de deux gigantesques tirages : l’un avec quatre femmes habillées arrivant de façon déterminée, l’autre la réplique de cette scène à la seule différence que ces femmes sont entièrement nues. Cependant, si l’objet de prédilection de Newton, à savoir le côté sexuel, peut être traité avec goût, au contraire le photographe rejette cette manière de voir les choses en pensant « qu’il y a deux obscénités en photographie : l’art et le bon goût », ainsi l’une des qualités de Newton réside dans le fait qu’il peut à la fois allier le mauvais goût dans son cliché mais que celui ci ne sera pas pour autant altérer dans le rendu du luxe et du chic propre à la photographie de mode de magazines tels que Vogue, Harper Bazaar, etc..
En revanche, sa femme n’applique pas forcément ce moto malgré les directives qu’aurait pu lui donner Helmut lors de son remplacement. Ainsi Alice Springs rentre directement dans l’esprit épuré et lisse que peut décrire l’univers de la mode. En effet, l’ensemble des clichés destinés à la campagne publicitaire du coiffeur Jean-Louis David nous montre bien des femmes indépendantes et vives mais on ne retrouve pas l’insolence et surtout l’indécence présentes dans les clichés de son mari. Seul, peut être une de ses photographies présentant une jeune fille dans la rue ayant une robe remontée laissant entrevoir ses fesses, mais rien dans ce cliché n’a la même originalité que ceux d’Helmut, le cadrage et le traitement de la lumière eux aussi restent banals.
Par ailleurs, Alice Springs s’est aussi différenciée du travail de son mari dans le type de photographie qui lui fut affectée. Après avoir assuré quelques campagnes publicitaires pour diverses marques dans le début des années 1970, June Newton se trouve alors dans la position de portraitiste de la jet-set ou d’autres personnalités. Alors même que ce genre peut être un meilleur support à la provocation que celui de la photographie de mode et la publicité puisque plus libre, Alice Spring signe des portraits certes beaux et intimistes mettant en exergue la personnalité du sujet mais ne présentant encore une fois aucune originalité dans le traitement. Fade pourrait être le mot approprié puisque lorsque nous nous trouvons face à l’un de ses clichés, aucune émotion ne nous envahit ou tout au moins pas autant que devant ceux d’Helmut Newton.
Cependant, l’aspect novice de la photographie d’Alice Springs peut nous donner une bonne raison d’explorer ses clichés, puisque comme le disait son mari : « Elle ne recourt à aucun trucage, pour la bonne raison qu’elle n’en connait aucun. Au contraire elle photographie de face directement une personne qui l’interresse, ou avec laquelle elle sent des atomes crochus. (…) Je ne connais personne d’autre qui fait ce genre de portraits. Ses photos rayonnent l’innocence ». L’innocence de June fait alors écho à l’indécence d’Helmut.
Cassandre Morelle