En marge des conflits opposant les CRS et les habitants de Morvaillan, Yohann Bellanger, un jeune lycéen de 17 ans, recrue de courte date, tombe par terre et inconscient, après l’explosion d’une grenade, avant d’être conduit à l’hôpital par les pompiers où il restera dans le coma. Loïc et Laurence Bellanger, ses parents, se rendent sur les lieux pour rencontrer le Pilote, Sylvain et Louise-Michel, les têtes pensantes de la ZAD, afin d ’éclaircir les circonstances de cet accident. Si Loïc et Laurence sont anéantis, ils n’en demeurent pas moins désireux de comprendre. Mais que veulent-ils comprendre ?
Ce que Laurence s’efforce de comprendre plus activement que son époux, peut-être parce qu’elle partageait avec Yohann plus de secrets que Loïc n’en avait avec leur fils, depuis qu’elle a dû régler une amende pour lui, ce que Laurence s’efforce de saisir, c’est l’instant précis où Yohann leur a échappé.
L’Enfant de la Rage plonge le lecteur dans l’incompréhension d’une mère, n’ayant vu la séparation avec leur fils advenir.
Mais quand advient-elle ?
Au moment où Laurence récupère Yohann au commissariat après la dégradation de la boucherie Trudeau dans le centre-ville d’Augerac ? Ou serait-ce plutôt au moment où Yohann peste sur l’éclairage d’un centre commercial et les produits manufacturés par des enfants pauvres du Bangladesh ? Ou était-ce déjà dans l’obscurité de sa chambre lorsqu’il s’abreuvait de vidéos militantes contre l’exploitation animale ?
Sans doute, cette témérité intrépide était déjà présente en lui depuis l’enfance :
« Elle avait fini par admettre que Yohann était né comme ça, avec, naturellement ancrée en lui, cette tendance à la contradiction. Celui qui dit non. »
En ayant de comprendre, Laurence s’efforce de combler la distance intellectuelle qui la sépare de son fils, et parce que comprendre serait, pour elle, comme retrouver le fils, ce fils qui leur échappait déjà, et de plus en plus, lorsqu’ils répondaient à ses arguments par des yeux levés au ciel :
« – Que t’aies raison de quoi ? De vouloir nous empêcher de partir dix jours là où on veut aller ? De vouloir vous empêcher de contribuer à ce gros merdier vers lequel on se dirige, oui. Loïc avait levé les yeux au ciel, exaspéré. […] Tu peux pas passer à autre chose ? Juste pour une fois ? non, parce que là, tu nous fais vraiment chier.
L’Enfant de la rage d’Anne Boquel revêt un intérêt tant littéraire que social
Parce que tu crois que la planète, elle, elle peut passer à autre chose ? C’est quand même dingue ce que tu dis : le capitalisme est en train de massacrer l’avenir de l’humanité, des types sans scrupules s’amusent à créer des famines pour que Kevin, quelque part à Chicago, puisse tranquillement continuer à mater du porno en streaming sur son iPhone 45, et c’est moi qui fais chier ? »
De cœur et de corps :
Mais comprendre ne consiste pas seulement à cerner les engagements militants de Yohann, mais aussi, pour Laurence, à cerner la place prise par Yohann dans l’organisation de la ZAD au moment de la révolte qui aura causé sa perte et, en creux, pour l’autrice, donner à comprendre l’organisation de ces sociétés en marge du monde, leur radicalité.
C’est en se rendant sur la ZAD une deuxième fois, à l’occasion d’un hommage rendu à Yohann, que Laurence perce à jour cette hiérarchie déjà pressentie lors de sa première visite en compagnie de Loïc.
Dans ce lieu supposé égalitaire, une hiérarchie symbolique subsiste à laquelle les jeunes recrues doivent faire allégeance par des actes et des faits d’engagement.
En ce sens, L’Enfant de la rage d’Anne Boquel revêt un intérêt tant littéraire que social, en ce qu’il offre une peinture saisissante du conflit intergénérationnel, qui oppose GEN Z, révoltée et en action, à ses parents, boomers résignés, qui ne comprennent pas qu’ils ne partageront pas le même monde.
- Crédit photo : © Adélaïde YVERT-MAYET
- Anne Boquel, L’enfant de la rage, Robert Laffont, 2024.