Dans la Chapelle des Pénitents blancs d’Avignon, Notallwhowanderarelost (tout ceux qui errent ne sont pas perdus), mis en scène par Benjamin Verdonck, sacralise le divertissement à travers une de ses formes les plus infimes : le théâtre d’objet. La Belle Saison, opération dirigée par le ministère de la Culture pour découvrir les richesses de la création pour l’enfance et la jeunesse, en a fait une des propositions phares de son programme.
Benjamin Verdonck est un machiniste. Il crée avec ses petits triangles et ses couleurs vives un concentré de monde. Benjamin Verdonck est un illusionniste. Bienvenu dans son cirque moderne où il s’escrime à empiler un ballon sur une chaise en équilibre sur deux canettes de coca. Benjamin Verdonck est un perfectionniste. La lenteur est le secret de son art.
Benjamin Verdonck est donc un grand enfant, très sérieux et malicieux, dont le pull jaune moutarde illustre bien le paradoxe : jaune, mais moutarde. Il les a fait toutes belles ses formes en carton et manipule leurs fines ficelles avec attention, il les chérie. Tout ce dispositif tient dans une boîte en bois aux allures de métier à tisser d’antan, où les bras seraient les lignes d’horizon. Lentement, on commence par suivre ce qu’il se passe, qui tire quoi et comment. Comme mû par l’air, un triangle se traîne comme un bateau ralenti en pleine mer faute de vent. Une autre voile file, le double et disparaît à l’horizon, et là on perd le fil ! Variations d’exercice imaginatifs : des formes, on passe aux couleurs ; le mouvement horizontal devient vertical. L’esprit de Malevitch supervise les triangles blancs minimalistes, navigue vers l’inspiration suprématiste de Joseph Albers jusqu’à celle expressionniste et abstraite de Mark Rothko. Cette boîte de pandore mécanique évoque enfin surtout le cirque que Calder a construit en 1920.
« Il les a fait toutes belles ses formes en carton, il les chérie et les manipule avec attention »
« Le théâtre est un point de vue d’optique, tout doit et peut s’y réfléchir. » écrit Victor Hugo dans la Préface de Cromwell. Benjamin Verdonck exploite avec douceur cette maxime. Comme un enfant qui présenterait le cœur battant un spectacle à ses parents, il actionne avec candeur et hésitation les rouages de son jouet. On dit que la quintessence du théâtre réside dans le spectaculaire. Pourtant l’homme-enfant malicieux ne possède rien, ou plutôt il créé à partir d’un rien. Il affectionne le pauvre et la simplicité, et leur porte tant d’attention qu’ils finissent paradoxalement par devenir importants et dramatiques. C’est un concentré de théâtre où le moindre mouvement captive l’attention, et l’infime prend des proportions disproportionnées. Tout son travail repose sur cette logique hors norme. Il distord nos repères quotidiens, si bien que la lenteur finit par avoir raison de notre impatience.
C’est un concentré de théâtre où le moindre mouvement captive l’attention, et l’infime prend des proportions disproportionnées.
« Dans une société où le temps c’est de l’argent, c’est un cadeau des dieux que de pouvoir s’assoir dans une salle noire et confier son temps à l’artiste. »
Quand on connait le passif de Benjamin Verdonck, on se demande quel engagement politique cette œuvre peut-elle bien défendre. En fait, on accueil l’expérience de manière si naturelle, qu’on ne la saisit pas immédiatement. Dans une société où « le temps c’est de l’argent », c’est un cadeau des dieux que de pouvoir s’assoir dans le noir afin de confier son temps à autrui. Il envoute la salle d’un suspense presque nerveux. Il distille les paroles au compte goûte, en langage crypté. Lao Tseu, fondateur du taoïsme, disait que l’essentiel résidait dans le vide. Suite à quoi, Okura écrivait que la valeur du peu résidait dans la force de suggestion… L’abstrait nous oblige en effet à couper avec nos repères quotidiens. L’aventure est incertaine, et les enfants s’en sortent presque mieux que nous. On les entend chuchoter dans le noir, attendant la confirmation des parents. « C’est des bateaux hein ? » Militant par son art pour un meilleur cadre de vie, Notallwhowanderarelost est un hymne au temps précieux et savoureux, à la durée dont Bergson nous disait qu’elle était atteignable par la contemplation.
Qualité donc, et non quantité puisque Benjamin Verdonck choisit l’errance : Sens 1. Aller çà et là, à l’aventure, sans but précis. 2. S’égarer. C’est bien d’ailleurs le soucis de ce type de proposition : certains spectateurs, mal à l’aises du refus de se laisser aller, rient de protestation, alors que les plus contemplatifs sont comblés d’attention.
- Notallwhowanderarelost, Benjamin Verdonck, FESTIVAL D’AVIGNON, à la chapelle des pénitents blancs jusqu’au 16 juillet
Floriane Fumey