Par quel bout prendre un entretien avec Boris Pahor, 107 ans, doyen mondial de la littérature, monument des lettres slovènes mais également européennes, à qui l’on a longtemps pensé à attribuer le prix Nobel de littérature ? Opposant aux trois totalitarismes (le fascisme, le nazisme, l’URSS), survivant de plusieurs camps de concentration (Natzweiler-Struthof, Dora-Mittelbau, Bergen-Belsen, Dachau), Boris Pahor est un témoin capital de notre temps. Il est aussi, selon les mots d’Evgen Bavčar, la conscience slovène du XXe siècle et selon ceux de Drago Jančar, la mémoire du XXe siècle.
Si les sujets à aborder avec Boris Pahor sont inépuisables (notamment la place qu’il accorde dans son œuvre à l’amour, la philosophie, la poésie et bien d’autres thèmes), il y en a malgré tout deux qui se démarquent naturellement car ils constituent le fondement de ce qui a été l’engagement de toute une vie de plus d’un siècle : l’identité et la survivance.
Joint dans un premier temps par téléphone, Boris Pahor le polyglotte s’exprime dans un français impeccable, à l’accent grasseyant des pays d’Europe centrale. Si la voix peut chevroter, si les trous de mémoire font, inévitablement, leur apparition durant le discours, la puissance intellectuelle de l’écrivain engagé et du témoin de son temps est toujours là, intacte et acérée.
« Entretien » est d’ailleurs le mauvais terme. Le temps de poser une question et le fil se déroule. Et au fur et à mesure que les souvenirs émergent inlassablement, c’est l’empire austro-hongrois qui renaît, c’est l’ombre du régime fasciste qui étend de nouveau son voile, c’est l’inhumanité qui régnait dans les camps de concentration qui surgit et menace.
Voici la première partie des souvenirs, agrémentés de quelques extraits, que Monsieur Boris Pahor a bien voulu partager avec Zone critique.
Quel est votre rapport à l’identité, vous Slovène de Trieste ?
Slovène résidant à Trieste mais de nationalité austro-hongroise, car je suis né en 1913. J’étais donc citoyen de l’Empire.A l’époque, Trieste appartenait à une région qui s’appelait le Littoral slovène (ou Primorska en slovène). Cette région, qui se trouve à l’ouest de la Slovénie actuelle, s’étendait de la côte Adriatique jusqu’aux Alpes juliennes en longeant la frontière avec l’Italie. Elle comptait l’Istrie slovène, la Goriška et la cité libre de Trieste. Cette dernière faisait partie intégrante de la Slovénie depuis toujours. Les communautés y coexistaient : slovène, italienne, catholique, juive… Elle a donc toujours été une ville internationale et multiculturelle. Mais en devenant italienne à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1919, elle a été coupée géographiquement des autres pays d’Europe centrale, alors qu’ils sont tous reliés par le karst, ce territoire de pierre calcaire qui s’étend jusqu’aux Alpes juliennes. L’Italie s’est donc accaparé ce territoire slovène jusqu’au mont Triglav (Monte Tricorno en italien, qui signifie littéralement « Trois têtes »), son sommet[1] marquant la frontière, depuis le traité de Rapallo en 1920, entre l’Italie et ce qui s’est appelé pendant très peu de temps l’Etat des Slovènes, des Croates et des Serbes. Un autre morceau de Slovénie, la Carinthie du sud, a également été attribué à l’Autriche.
La Slovénie était donc prise en tenaille à l’ouest par l’Italie et au nord par l’Autriche.
Quand les fascistes arrivèrent au pouvoir, en 1922, l’une de leurs premières mesures fut d’interdire les cours de slovène à l’école et d’imposer la langue italienne.
A l’époque, avant l’avènement du fascisme, l’Italie était plutôt libérale. Pour mieux faire accepter cette annexion par les Slovènes, le gouvernement leur faisait croire que la communauté serait mieux traitée par le régime italien que par l’Autriche. Mais les fascistes sont arrivés très vite. Je rappelle que Trieste a été le berceau du Parti fasciste et que les faisceaux étaient présents sur place dès 1919, avant la création officielle du Parti. En dépit du fait que le gouvernement était officiellement libéral, les intellectuels slovènes (artistes, enseignants etc.) ont été exilés en Sardaigne ou incarcérés dans les prisons de Venise pour dissidence. Le pouvoir justifiait cet exil en affirmant aux hommes de culture slovènes que chaque maison qu’ils bâtiraient dans les territoires italiens deviendrait une école. Mais cela heurtait notre fierté. Nous avons une conscience nationale slovène depuis 1848, qui s’est matérialisée dans le projet de Slovénie unie. Il s’agissait d’un mouvement, fondé à l’occasion du Printemps des nations, et qui visait une unification de toutes les communautés slovénophones dans un royaume qui dépendrait de l’empire austro-hongrois, ainsi que la reconnaissance de la langue slovène et l’autorisation d’être pratiquée en public. Même si ce mouvement a manqué son objectif au 19ème siècle, il a néanmoins inspiré toutes les manifestations d’identité slovène jusqu’à la Première Guerre mondiale. Et nous avons fini par mettre en place une nation serbe, une nation croate et une nation slovène.
Quand les fascistes arrivèrent au pouvoir, en 1922, l’une de leurs premières mesures fut d’interdire les cours de slovène à l’école et d’imposer la langue italienne. Il était dès lors interdit de parler slovène en public. Toute présence des représentants slovènes au Parlement italien fut également interdite. Leur position en Italie était impossible. L’objectif était d’éliminer la culture et l’histoire slovènes, qu’il s’agissait d’italianiser, comme les Turcs ont procédé avec les Arméniens. Toute vie sociale, politique, littéraire slovène était gommée.
« En ville, on s’arrêtait sur les trottoirs et on s’interrogeait du regard ; il y avait chez les gens une tristesse silencieuse et la mort semblait s’être introduite dans chaque maison slovène. Le paysan étrillait pensivement sa jument, dans la cuisine sa femme était assise, muette, près de la fenêtre. Un froid mortel, véritable gaz toxique, s’étendait sur la luzerne et sur le bois ; sur les pentes du Nanos, les bergers avaient enlevé leur cloche aux brebis. » (in Arrêt sur le Ponte Vecchio, 2006)
Un autre moment fondateur dans notre prise de conscience nationale est l’incendie de la Maison de la culture[2] slovène de Trieste par les fascistes le 13 juillet 1920. J’avais sept ans à cette époque. Il s’agissait d’un beau et grand bâtiment de cinq étages qui abritait un théâtre, un hôtel, des restaurants etc. Il représentait l’existence d’une culture slovène propre. Je raconte cet épisode dramatique dans une de mes nouvelles[3], publiées dans le recueil Arrêt sur le Ponte Vecchio. C’était terrible de voir ces « hommes en noir » enfermer les gens à l’intérieur et empêcher les pompiers d’éteindre l’incendie.
« Les sirènes des pompiers retentirent au milieu de la foule mais la confusion s’accrut encore dans la cohue quand les hommes en noir empêchèrent les véhicules de s’approcher. Ils les encerclèrent, se hissèrent dessus et arrachèrent les tuyaux des mains des pompiers. « Eïa, eïa, eïa ! Alalá ! » criaient-ils comme des fous pendant qu’alentour la foule s’épaississait. Tout Trieste regardait la haute et blanche maison et les flammes à ses fenêtres. Des flammes semblables à des langues effilées, à des drapeaux rouges. Et Evka se cramponna à Branko car aux fenêtres de la grande bâtisse, hormis les flammes il y avait des silhouettes, et l’une d’elles venait justement de traverser une langue rouge qui léchait une ouverture. Evka frissonna et Branko, à son tour, se serra contre elle. « Eïa, eïa, eïa ! Alalá ! » chantaient les hommes en noir.
Pourtant, les pompiers réussirent à dérouler leurs longs tuyaux et la foule s’écarta. Les jets giclèrent et les lances à eau crissèrent et piaffèrent dans le soir pourpre. Les hommes en noir hurlaient comme les Indiens qui attachent leur victime à un poteau et allument le feu dessous. Ils dansaient avec des gourdins et des couteaux à la main.
C’est alors que quelqu’un trancha un des tuyaux. Le jet s’immobilisa dans les airs, semblable à une fleur de sureau dorée par le feu. Puis la fleur tomba et, entre les mains du pompier, l’eau gargouilla comme le sang d’une veine. »
Mais cela correspondait au souhait des fascistes d’italianiser Trieste, qui était pourtant multiculturelle, et de rabaisser et humilier la communauté. Plus tard, le journal de Mussolini Il Popolo d’Italia écrivait des Slovènes : « Un mélange d’hommes sans histoire ne peut pas posséder une nationalité. Est-ce que les punaises qui infestent un appartement ont une nationalité ? ». Les archives du Narodni Dom ont même été brûlées au pied du monument dédié à Verdi. Il s’agissait de nous effacer.
Moi-même, à l’époque fasciste, je publiais en sous-main des articles dans des revues slovènes interdites. La lecture était elle-même réglementée. Par exemple, je lisais Kosovel[4] en cachette. C’était un grand poète slovène qui a vécu sous l’Italie fasciste, mort à 22 ans, et qui a composé plus de 1 000 poèmes. Dans toute son œuvre, il a chanté son amour pour les paysages karstiques de sa terre natale. Un professeur français lui avait consacré une courte étude d’une centaine de pages dès 1927, ce qui m’a permis d’avoir en ma possession une copie de ses poèmes en français.
Il faut également dire que même les Triestins, qui pourtant n’étaient pas des gens mauvais ni des fascistes, considéraient les Slovènes comme n’étant pas aussi culturellement développés qu’eux, qu’il s’agissait de paysans assez rustres. En effet, ces derniers étaient plus pauvres et venaient souvent de leur campagne pour travailler au service des riches Triestins.
Le slovène n’a commencé à être reconnue comme langue européenne à part entière qu’en 1848.
Mais cette supposée « infériorité » se trouve démentie dans les faits, notamment par le fait que le slovène est une langue très ancienne, qui remonte au 10ème siècle avec les feuillets de Freising, qui étaient des textes religieux qui servaient à l’évangélisation. Elle n’a commencé à être reconnue comme langue européenne à part entière qu’en 1848. C’était un début. Des écrivains et des poètes slovènes ont fait leur apparition tout au long du 19ème siècle, comme France Prešeren, mais il y en a eu également pendant l’époque fasciste et qui vivaient en Italie. Après la Seconde Guerre mondiale, ce sont surtout mes œuvres et celles d’Alojz Rebula[5] (qui ont rencontré beaucoup de succès chez les catholiques) qui ont fait connaître la littérature slovène triestine. Nous avons pu démontrer à nous deux que notre littérature faisait également partie de la culture européenne.
A la fin de la Seconde Guerre, la conférence de la paix, qui a abouti au traité de Paris de 1947, a permis aux Slovènes d’acquérir des territoires où les Slovènes étaient présents, notamment une grande partie de la Vénétie julienne et de l’Istrie. Cela n’est pas allé sans quelques problèmes. En effet, les Italiens ont toujours considéré que jusqu’aux Alpes juliennes, le territoire était italien. Cela remonte à Dante, qui considérait que l’Italie devait être unifiée « des Alpes à la Méditerranée ».
Le territoire triestin a longtemps été disputé à l’empire d’Autriche, c’était une terre de discorde et de convoitise et ce n’est qu’à l’issue de la dernière guerre d’indépendance en 1866 que l’Italie a obtenu la Vénétie et l’ouest du Frioul et des Alpes juliennes, l’Autriche gardant la région Gorizia. Le territoire a donc dû être partagé une première fois, puis une deuxième fois après la Première Guerre mondiale où presque toutes les Alpes juliennes ont été incorporées à la Vénétie et enfin une troisième fois en 1945. Par exemple, la partie ouest de la ville de Gorizia s’est prononcée pour l’Italie alors que la partie est, qui correspondait à peu près aux anciennes terres de l’empire d’Autriche, a été rétrocédée à la Slovénie (qui était à l’époque la Yougoslavie). La partie italienne est restée Gorizia, la partie slovène s’est alors appelée Nova Gorica.
« Je me sens apatride car ma patrie est partout et nulle part. »
Une fois que l’Italie est devenue démocratique, la communauté slovène qui y résidait a enfin pu être pleinement reconnue et bénéficier de droits spécifiques : elle peut maintenant donner des noms slovènes aux enfants, qui suivent des cours dans des écoles slovènes etc. La culture est primordiale dans l’établissement de la conscience d’une nation ; si je reprends l’exemple de Dante, c’est lui qui, le premier, par sa poésie, a façonné la langue italienne.
Ce qui a aidé à la reconnaissance de la culture slovène en Italie, c’est aussi le fait que j’ai été qualifié, en Europe et notamment en France, d’ « auteur slovène de Trieste ». Cela signifie que les Français ont accepté et intégré l’idée que je suis auteur slovène avant d’être italien.
Dans une interview en Autriche, on m’avait demandé ma conception de la nation. J’ai répondu que nous sommes d’abord un peuple et une fois qu’on a un Parlement, avec des règles, des lois, des frontières, alors nous formons une nation.
« Je me sens apatride car ma patrie est partout et nulle part. » (in Printemps difficile, 1995)
On peut dresser un parallèle entre la volonté d’unité de l’Italie qui a brimé ses minorités en les empêchant d’étudier et pratiquer leur langue et la France qui, par son idéologie centralisatrice, a fait de même avec les siennes, par exemple les Provençaux, même s’il n’y avait pas de répression comme sous le régime fasciste. Si le français était la langue officielle depuis la Renaissance, ce n’était pas le cas en Provence, qui parlait le provençal, et à Nice notamment, qui n’était pas française. Or, le provençal n’a pas bénéficié de statut spécifique dans l’enseignement, bien que la Provence fasse partie de la France. Ce n’est que bien plus tard, au 21ème siècle, que la langue provençale et la langue niçoise ont été reconnues comme langues régionales[6].
La France tient beaucoup à son modèle d’Etat-nation, créé par la Révolution française. Dans le monde d’aujourd’hui, nous avons encore des Etats-nations. Mais dans l’Union européenne, l’autorité se trouve à Bruxelles et c’est elle qui réglemente la législation des Etats. Ceux-ci ne sont pas encore fédérés mais ils peuvent à terme créer une confédération, comme en Russie, où tous les peuples ne sont pas obligés de parler le russe. Est-ce cela que nous réserve l’avenir ? Je ne saurais pas dire.
La cérémonie du centenaire de l’incendie du Narodni Dom
Zone Critique était présente à Trieste, sous un soleil estival éclatant, le 13 juillet 2020 pour les cérémonies du centenaire du Narodni Dom et a assisté à l’hommage rendu à Boris Pahor par les présidents italien et slovène Sergio Mattarella et Borut Pahor. Décoré de l’ordre du Mérite de la République italienne et de l’ordre du Mérite exceptionnel slovène, Boris Pahor a dédié cet hommage « à tous les morts rencontrés dans les camps de concentration, ainsi qu’à toutes les victimes du fascisme nazi et de la dictature communiste ».
En signe de réconciliation, les deux présidents ont signé, à la Préfecture de Trieste, un protocole attestant de la restitution du Narodni Dom à la République de Slovénie. A cette occasion, le président slovène a prononcé le discours suivant.
Discours prononcé à Trieste le 13 juillet 2020 à l’occasion du centenaire de l’incendie du Narodni Dom (traduit de l’anglais par Guillaume Narguet)
« Monsieur le Président Sergio Mattarella, mon ami,
Chers compatriotes slovènes,
Chers amis italiens.
Aujourd’hui, mon cœur est rempli de joie. La Maison de la Cuture est retournée aux mains des Slovènes cent ans après avoir été dévastée par les flammes. Cela nous a demandé cent ans pour que nous en arrivions là. C’est, en effet, un événement historique. Une injustice a été réparée, justice a été rendue.
Aujourd’hui est donc un jour à ne pas oublier. Et il s’agit d’un jour que la Slovénie et l’Italie peuvent commémorer ensemble, car c’est un engagement commun aux Slovènes et aux Italiens, une victoire bien méritée pour tous ceux qui ont cru profondément, et pendant toutes ces années, à une coexistence pacifique, à la compassion, au respect, à la réciprocité et à une Europe unie.
A certains d’entre vous, le retour du Narodni Dom pourrait constituer une étape qui va de soi, mais il n’en est rien, même si cela est justifié en termes de droit et de justice. Une centaine d’années ont passé et ce laps de temps aurait pu être encore deux fois plus long. Ce retour est le fruit d’actions mutuelles et persévérantes qui ont été rendues possibles grâce à la confiance réciproque que nous nous portons et à la belle harmonie de pensée qui nous a animés et qui sont discrètement arrivées à maturation, après tout ce temps. A la lumière de cet événement, nous pouvons fièrement nous souvenir des actions de nos prédécesseurs et leur être reconnaissants pour leur courage, leur grande ténacité, et leur vision d’une communauté unie, tout en respectant les valeurs de fraternité et de solidarité. Un jour, quelqu’un a dit : « Ce sont des rêves interdits qui sont devenus réalité » et c’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Comme si, après toutes ces années, les étoiles s’étaient enfin alignées. Même si elles ne se sont pas alignées d’elles-mêmes. Nous les avons alignées ensemble.
Il y a, dans le monde entier, peu d’endroits comme Trieste qui ont été un aussi proche témoin du déclenchement de la Première Guerre mondiale et de la fin de la Seconde.
Trieste. Il y a, dans le monde entier, peu d’endroits comme Trieste qui ont été un aussi proche témoin du déclenchement de la Première Guerre mondiale et de la fin de la Seconde. Trieste est la ville qui sait le mieux pourquoi la Première Guerre mondiale a été surnommée la Grande Guerre : en grande partie parce qu’elle n’a pas eu de fin mais qu’elle s’est prolongée jusqu’à en former une seconde. Pour qui désirerait écouter, la ville de Trieste raconte les histoires de peuples fragiles pris dans la tourmente d’incessants changements politiques, historiques, ethniques et civils. Mais aujourd’hui, Trieste raconte une histoire différente : une histoire du pouvoir de tout homme qui sait comprendre, se souvenir et pardonner. Cette force est puissante et nous conduit toujours plus loin.
C’est la raison pour laquelle l’évènement d’aujourd’hui devait avoir lieu, bien que, comme je l’ai dit, cela n’allait pas de soi. C’est une réponse à cet appel de l’intérieur qui nous implore de ne pas sacrifier le temps dévolu à notre avenir au temps que nous passerions à ressasser un passé amer et révolu.
La haine ne demande pas d’efforts particuliers. Il suffit de céder à la peur et aux préjugés. D’un autre côté, l’amitié requiert du courage et des efforts dans le but de cultiver la diversité et renforcer notre unité.
La restitution du Narodni Dom représente un geste d’espoir, qui nous rend optimistes et renforce les cœurs braves et nobles de nos deux nations et de toutes les autres. Cette restitution est un geste puissant qui porte un message fort non seulement pour les Italiens et les Slovènes, mais également pour toutes les nations d’Europe. Cela nous a demandé cent ans.
Aujourd’hui, Trieste est, au moins le temps d’une journée et symboliquement, la capitale de l’Europe, pour la célébration de ces grandes valeurs qui font l’unité de l’Union européenne.
Encore et toujours, maintenant plus que jamais, cette fameuse tirade d’Antigone est une source d’inspiration pour nous tous : « Je suis faite pour l’amour, non pour la haine. »
Après ce discours et le recueillement devant la foiba de Basovizza, un ancien puits de mine devenu le lieu symbole des massacres d’Italiens et de partisans yougoslaves anticommunistes de 1943 à 1945 sur ordre du maréchal Tito[7], le président Borut Pahor s’est rendu au Noardoni Dom où il a prononcé un second discours.
La journée de commémorations s’est terminée au Caffè degli Specchi (Café des Miroirs), sur la place de l’Unité de l’Italie de Trieste, un des plus anciens cafés de Trieste, construit en 1839 et où Boris Pahor, qui y a longtemps eu ses habitudes, reçoit un à un ses amis et connaissances. Parmi ces derniers, Zone Critique, qui a pu échanger quelques mots à cette occasion.
[1] Le plus haut de Slovénie, avec 2 864 mètres.
[2] Narodni Dom en slovène.
[3] Un bûcher dans le port.
[4] Srečko Kosovel (1904-1926), poète slovène lié aux mouvements expressionniste et constructiviste.
[5] Alojz Rebula (1924-2018) s’est établi à Trieste dans les années 60 où il a exercé une carrière de professeur de latin et de grec. Très engagé au sein de la communauté slovène de Trieste et attaché à promouvoir sa culture, il fonde avec Boris Pahor le journal Zaliv en faveur du pluralisme politique et culturel et des valeurs de la démocratie occidentale. Reconverti au catholicisme, après avoir été agnostique, il a écrit de nombreux articles dans des journaux catholiques en Slovénie. Rebula et Pahor ont été interdits d’entrer sur le territoire yougoslave à partir de 1975 pour avoir écrit un livre qui dénonçait le massacre de 12 000 Slovènes anti-communistes par les autorités communistes en 1945.
[6] Le 17 octobre 2003, le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur proclame le vœu que « la langue provençale et la langue niçoise sont les langues régionales de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. »
[7] Les massacres des foibe sont des exécutions de masse commises en utilisant des grottes naturelles (les foibe) d’origine karstique, dans des régions italiennes ou autrefois italiennes. Ces gouffres, débouchant à la surface par des conduits presque verticaux, furent au cours des siècles le théâtre de nombreuses exécutions sommaires, en particulier vers la fin de la Seconde Guerre mondiale lors de l’occupation yougoslave par les troupes titistes de la ville de Trieste et des régions du nord-est de l’Italie. Des milliers de personnes y ont été assassinées.