Attention, Ceux qui restent est un sérieux candidat à l’élection du film de Noël des années 2020. Alexander Payne livre une version mi buddy movie, mi film de campus de la traditionnelle comédie sentimentale qui réunit des êtres que tout oppose grâce à la magie de Noël. Et bien que nous soyons gavés par le catalogue des plateformes, le charme opère…
Ce mois-ci, trois films aux genres très différents se situent au beau milieu du Massachussetts en plein hiver. Dumb Money de Craig Gillespie, Thanksgiving : la semaine de l’horreur d’Eli Roth et Ceux qui restent d’Alexander Payne. L’un est le récit grotesque d’un coup financier tenté par de petits investisseurs privés qui se dressent contre le grand capital – entendre les fonds financiers de Wall Street. Le film est coproduit par les frères Winklevoss qui n’ont visiblement toujours pas digéré leur procès contre Mark Zuckerberg (à Noël, on offre le pardon !). L’autre est une comédie horrifique située dans un Walmart à la veille du Black Friday. Ce sont deux contes de Noël désenchantés à l’ère du capitalisme. Il revient donc à Alexander Payne de raconter une authentique histoire merveilleuse en Nouvelle Angleterre.
Dans Ceux qui restent, il brosse le portrait d’un moins que rien, Paul Hunham (Paul Giamatti) petit professeur rabougri de civilisations anciennes qui ressemble à s’y méprendre au vilain Ebenezer Scrooge. Il enseigne à d’atroces gosses de riches dans un college de seconde zone aux environs de Boston. Alors que les fêtes battent leur plein, Paul est chargé de surveiller les élèves qui sont contraints de rester au pensionnat. Il va notamment prendre soin d’Angus, un adolescent taciturne (Dominic Sessa) qui manifeste d’emblée son opposition, et sera assisté de Mary, la cuisinière du campus (Da’Vine Joy Randolph). Par la magie de Noël, la sainte famille brinquebalante va transformer ce séjour punitif en un moment de partage.
La griffe du passé
Si Dumb Money et Thanksgiving semblent résolument contemporains et réalisés dans l’urgence d’une grogne sociale qui mine l’esprit des fêtes, Ceux qui restent est tourné vers des temps plus anciens. Le geste de Payne est celui d’une révération du passé. L’intrigue est située dans les années 1970. Comme Tarantino et Paul Thomas Anderson, le cinéaste réalise un film d’époque. Les seventies sont glorifiées mais constituent aussi un point de bascule. Elles annoncent la fin d’un monde et d’un certain rapport à la culture. C’est ce qui explique son choix du numérique imitant la pellicule vintage avec une image à effet grain. Ou bien encore le choix d’une lumière mordorée pour les intérieurs néogothiques de la bâtisse désertée pendant les fêtes. Au dehors, c’est la blancheur immaculée des plaines de Nouvelle Angleterre que saisit le chef opérateur Eigil Bryld.
La fin d’un monde est d’abord suggérée par le deuil impossible pour Mary, de son jeune fils mort au Vietnam. Mais Payne s’intéresse aussi à l’obsolescence des œuvres du passé et à la mise sous cloche de l’histoire ancienne contre laquelle le professeur lutte désespérément. C’est avec nostalgie qu’il met en scène la relation paradigmatique du maître et du disciple fondée sur un respect réciproque que les personnages s’emploient à construire parce que ce sentiment ne va plus de soi. L’hommage est émouvant parce que modeste. Le culte du passé prend la forme d’une attaque contre la sclérose des institutions prestigieuses qui préservent jalousement les traditions au nom d’une prétendue protection du savoir. C’est un piège dans lequel le professeur est lui-même tombé. Pas sympathique pour un sou, Paul ne cesse de reprocher à ses étudiants leur ignorance et de les assommer avec des doctrines anciennes qui sont devenues des fossiles.
Roman d’apprentissage
Barton College, Harvard et consœurs sont des tours d’ivoire où l’on n’apprend plus rien, où la culture est depuis longtemps réduite au statut d’un héritage transmis de génération en génération chez les familles fortunées. Coincé quelque part entre Le Cercle des Poètes Disparus et Will Hunting, Ceux qui restent a le charme suranné des fables sur l’éducation qui ont pour toile de fond les belles écoles – Oxford, Cambridge au Royaume-Uni ; Harvard, Cornell aux États-Unis – où un professeur anticonformiste va retrouver, par la fréquentation avec un jeune homme, son enthousiasme perdu. Giamatti n’a ni le charisme, ni la fougue de Robin Williams, mais son physique disgracieux – syndrome de l’œil paresseux et odeur corporelle nauséabonde – fait de lui un personnage de conte tout à fait crédible et parfois même attendrissant. « Que le Ciel et la fête de Noël soient loués pour ce qui arrive ! », s’exclame le héros transfiguré de Dickens à la fin de la nouvelle Un Chant de Noël. La transformation des deux hommes est un miracle de décembre, un peu lourdement souligné par quelques scènes de rapprochement. Leur aventure spirituelle et morale se meut en une exploration des pièces secrètes de l’école et de ses environs bucoliques.
Ceux qui restent offre quelques bons moments de comédie ponctués par de savoureuses répliques que prononce Giamatti dans un rôle pourtant très conventionnel. De jolis personnages secondaires guident le duo infernal tels des anges bienveillants : c’est le cas de Lydia Crane, secrétaire de direction mais aussi serveuse au pub du coin pendant le winter break et organisatrice de soirées festives pour les plus réfractaires aux fêtes de fin d’année. La douceur du film est entamée par de grosses maladresses d’écriture et des lourdeurs dans la mise en scène, notamment dans sa deuxième partie. On se serait volontiers passé d’un larmoyant tête-à-tête entre Angus et son père schizophrène dont l’existence nous avait été cachée. Le long dénouement, avec son lot de clichés – rentrée des classes, délicat moment d’adieu où l’on n’ose exprimer sa reconnaissance – efface le souvenir candide qu’avait laissé son cadre initial. Ceux qui restent n’est sans doute pas un chef-d’œuvre mais il a le goût très noëlique du temps qui ne passe pas.
- Ceux qui restent, un film d’Alexander Payne, avec Paul Giamatti, Dominic Sessa, Da’Vine Joy Randolph, Carrie Preston. En salles le 13 décembre.