Jacques Josse, avec Chapelle ardente, déroule un récit chaleureux et amer campé au cœur d’un bistrot breton, où un poète chante son patron disparu. Zone Critique revient sur ce roman qui vous réchauffera au creux de l’hiver.
Il faut lire Jacques Josse. Non seulement parce qu’il est un écrivain de toute première importance ― son œuvre, déjà conséquente, dériverait-elle dans les marges de la littérature officielle ―, mais parce qu’au fil de ses ouvrages, dans son obstination à dire ou peindre une émotion si fraternelle qu’elle nous laisse après lecture vaguement hébétés, le monde qu’il campe, et c’est celui d’un univers âpre, pétri de détresse comme de chaleur humaine, de vies fracassées et de destins assez ordinaires pour n’avoir de présence qu’aux margelles de l’ombre, ce monde que l’on peut définir, localiser (la Bretagne, ses cafés perdus entre lande et rivage, un ciel dont les nuages rabotent l’horizon, la mer, les dalles des tombes où les morts ne sont pas tous enterrés, qui errent par les embruns…), ce monde, donc, recèle des cargaisons immenses de songes auxquels chacun voudrait s’arrimer.
Ce court récit est magnifique. Gorgé d’humanité, on en épouse les méandres, en accepte les saccades ou la manière qu’il a de suspendre le souffle au détour d’une phrase.
Avec Chapelle ardente, qui vient de paraître à la belle enseigne des éditions le Réalgar, l’espèce de requiem sans fin que trame le poète se prolonge au sein d’un bistrot où sont réunis les proches du défunt, lequel n’est pas étendu là, entre quatre planches, par la seule volonté du hasard. C’est que le bougre était le patron des lieux, barman vigoureux, olympien peut-être, grand lecteur de Bukowski et de Jack London, de Kerouac sans doute, de sorte que les amis se succèdent près du cercueil, les uns tentés par le geste qui leur serait fatal (se précipiter en voiture du haut de la falaise voisine, disparaître au cœur d’un coup de tabac, perdre définitivement le nord…), les autres reluquant en douce les femmes qui bavardent dans un coin, dont certaines furent ou demeurent de mœurs on ne peut plus légères.
Ce court récit est magnifique. Gorgé d’humanité, on en épouse les méandres, en accepte les saccades ou la manière qu’il a de suspendre le souffle au détour d’une phrase, Jacques Josse sachant mieux que personne traduire dans une langue ensemble directe et caressante, abrupte et voluptueuse, l’intensité des gens de peu, qu’ils soient pêcheurs de rêves, employés des pompes funèbres, livreurs, chômeurs au long cours ou ancien instituteur toujours chargé des oraisons dernières.
Dès lors, le « Barbu » (surnom du défunt) et son chien en quête d’une âme bienveillante, la « Taupe », le boucher et les buveurs de bière accoudés au comptoir, qui écoutent une ultime fois les morceaux préférés du tenancier, « La bamba », de Ritchie Valens, « Boom-boom », de John Lee Hooker, « I want you », de Bob Dylan, tous ces voyageurs sans bagage accomplissent le rite le plus archaïque avec un zèle hérité d’une modernité déjà dérisoire : c’est triste, mélancolique à souhait, teinté d’humour, beau comme un chant d’adieu – écrit « pour le tempo, le flux, le long solo, le blues venu de loin, le timbre éraillé ou râpé », dit Josse, lequel sait bien évidemment de quoi il parle.
Lionel Bourg
- Jacques Josse, Chapelle ardente, éditions le Réalgar, 48 pages, 8 euros, janvier 2017.