Sages et singes de littérature anodine, émolliente, s’abstenir. Une belle revanche puisque, plus de vingt ans après sa composition façon free jazz, solo d’Albert Ayler, Ornette Coleman ou Pharoah Sanders, voici enfin publié ce roman, cet OLNI lancé à la figure de la médiocrité et du lénifiant consensus éditorial par les audacieuses éditions Tinbad. Une grenade enfin dégoupillée !
« Excentrique, étrange, irréel », dit l’auteur lui-même à propos de son livre.
Comilédie: un OLNI lancé face vers le ciel à la figure timorée de l’éditeur qui le refusa, il y a a un peu plus de vingt ans.
Les éditions Tinbad publient depuis 2014 des œuvres inclassables, avec pour oeuvre-pilote Ulysses de James Joyce qui exploita avec ferveur et témérité les ressources du terrain littéraire en modernité formelle. Voulant remettre au goût du jour la création littéraire la plus contemporaine, avec ses audacieux coups d’éclat avant-gardistes, les éditions Tinbad repartent des deux décennies 1910-1930, marquées par le Futurisme, le Dadaïsme, le Surréalisme, Proust, Joyce) et qui constituent « la période la plus féconde en modernismes de notre Histoire », pour jeter dans la jungle des publications, à la face d’une Littérature devenue molle et médiocre à force d’institutions et de consensus, ses propres œuvres inclassables telle Comilédie de Jacques Cauda.
« Nous ne nous interdirons pas », revendiquent les éditions Tinbad, « de publier des œuvres inclassables qui seraient au croisement de la poésie et du roman moderne : un violent “je” autobiographique sera recommandé et même essentiel. Notre cap : la littérature contrainte et le “Carré noir” en Littérature. Une seule certitude : pas de romans – « chromo » ! Vieilles anecdotes … »
« Folie littéraire » que cette Comilédie ?
Déjà la métaphore de la couture s’y trouve. Dans l’intrigue, mettant en scène deux jumeaux fœtus dans le ventre de leur mère (Rose, mater dolorosa, enceinte aussi du narrateur et de son double tautologique, Sosie), décidant de sortir par l’oreille de la parturiente (clin d’oeil à Rabelais) et cousant, avant leur ascension, son vagin ; avant de causer littérature, philosophie, théologie (refaire le monde avant d’y être projeté ou de s’y projeter).
Métaphore de la couture aussi comme travail textuel dans le style et le remue-méninges à l’oeuvre d’une démolition de la Littérature (la recoudre pour en découdre avec Elle, escortée de ses agitateurs de folies littéraires, et pas des moindres : Raymond Roussel, Artaud, Joyce, Jarry, Queneau, Dubuffet) ; dans le ventre du texte même dont La Couture figure un chapitre ; par les illustrations qui donnent à voir des collages de Jacques Cauda ; dans le facing avec une 1ère de couverture proposant un dessin et un collage de l’auteur pour Comilédie; via les titres qui suggèrent un cut-up dans le tissu textuel, charnel, et par les orifices par où le corporel s’exprime : Prépuceface, Le pis (coupure de presse I), Coupure de Presse II, Coupure de Presse III, …
Le style s’écrit sur les harmoniques d’un étrange solo de free jazz : « Vertical, pointé vers le soleil, à la manière d’un nouage indéfini du langage sur lui-même tournant dans une structure en spirale », précise l’auteur. Modernité formelle, dans la généalogie que l’on a dite précédemment et inédite.
Comilédie, dédiée à Guillaume Basquin dirigeant avec Christelle Mercier les éditions Tinbad et Les Cahiers de Tinbad, s’est écrite par la plume ou le clavier d’un certain Christian Saint-Germain, pseudonyme d’un auteur aux clés d’approche et d’entrées estranges ; original ; fulgurant peintre surfiguratif en même temps qu’écrivain, poète, photographe et documentariste.
Comilédie joue le goût de l’effort – enfin. L’effort induit par toute véritable lecture, Littérature. La découverte d’un Auteur jamais ne s’improvisera. Jamais on n’entrera ainsi farniente jusqu’au cœur effeuillé du Langage.
Murielle Compère-Demarcy
- Comilédie, Jacques Cauda, éditions Tinbad, 168 p., 2017, 20€