Dans un canard. Mais quel est le message subliminal que Jean-Daniel Magnin, auteur de la pièce, sous-entend ? En effet, il est bien question de canard. Mais la basse-cour dispose d’un ascenseur et de bureaux. Et les volatiles sans plumes sont prêts à tous les coups pour sauver leur rang socio-professionnel.
Dans un canard est la nouvelle création de Jean-Daniel Magnin, directeur littéraire du Rond-Point et dramaturge français, et pour comprendre le titre, il faut revenir au début, au tout début de l’histoire. Le personnage principal s’appelle Donald. Jusqu’ici, pas de problème. Stagiaire depuis trois ans, il trime sans jamais vraiment se plaindre. Un jour, il va rencontrer Gégé, le fondateur historique de l’entreprise, critiqué par ses anciens collègues et abandonné de tous. Ils échangent quelques mots autour d’un sandwich servi au comptoir d’un bistrot. Quelques temps après, le corps de Gégé, ligotté à son scooter, est repêché au fond d’un canal. Verdict : suicide. Donald est désigné comme le meilleur ami de substitution ; au nom de la boîte, c’est lui qui énoncera le discours aux obsèques.
Mais, bien vite, sa maladresse et sa naïveté auront raison de lui. Dans un monde où honnêteté ne rime pas forcément avec réussite et prospérité, le héros va doucement mais sûrement à sa perte.
Satire du monde l’entreprise
Pour faire écho à l’actualité cinématographique, Dans un canard, c’est un peu Corporate* mais avec un traitement humoristique. Car Donald est un gaffeur. Hélas, même si les catastrophes qu’il provoque le projette pour un temps sur le devant de la scène, il reste un pion du système. Quand votre potentiel, votre apport au sein de l’entreprise est épuisé, on vous jette comme une vieille chaussette. Ou pire, on vous pousse à bout pour partir de vous-même. C’est la sombre réalité du monde du travail. Mais mieux vaut en rire qu’en pleurer.
Dans un canard explore la récupération d’un buzz par l’entreprise. Oui, je vais venir à la signification du titre… Lors de son discours aux obsèques, Donald est filmé. Et Donald commet une bourde (parmi d’autres) : au lieu de dire, « il est tombé dans un canal », il dérape en « il est tombé dans un canard ». Rire jaune mais énorme viralité sur les réseaux. Quel meilleur moyen pour faire parler de l’entreprise et augmenter sa côte en bourse ? Donald devient l’instrument du pouvoir, du succès.
Peut-on rire du suicide ?
« Oui mais seulement si l’on reconnaît, en suivant le destin d’un personnage pris dans cet entonnoir, quelque chose de sa propre vie. Seulement si la fantaisie est là pour révéler et faire partager » avoue Jean-Daniel Magnin.
Donald devient une star. Lui, le stagiaire à la précarité accrue, va être enfin reconnu. On lui demande son avis sur tout. La com’ est désormais tournée vers le canard, l’emblème, le signe de la victoire. Mais, le canard au fond, ça reste lui. Le Calimero du CAC 40. Promu grâce au buzz, Donald ne semble pas se rendre compte que tout ceci n’est qu’un feu de paille. Il disparaîtra peut-être aussi vite qu’il est apparu aux yeux du web ; une vidéo en chasse une autre, ou c’est la surenchère.
Une comédie dramatique qui fait réfléchir mais aussi et surtout, sourire. Parce que le personnage de Donald est attachant et que ses expériences sexuelles et amoureuses viennent pimenter un quotidien au goût doux-amer. Parce qu’on se moque volontiers de la mort et de l’amoralité d’un certain monde du travail. Cathartique.
* Corporate de Nicolas Silhol, avec Céline Salette, Lambert Wilson, en salles actuellement
- Dans un canard, de et mis en scène par Jean-Daniel Magnin, avec Quentin Baillot, Emeline Bayart, Eric Berger et Manuel Le Lièvre, au Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 14 mai