Aux frontières de l’horreur, du drame psychologique et de la science-fiction, Else explore la porosité entre l’intériorité humaine et le monde matériel. Si son audace formelle engendre des images singulières, le long-métrage, trop écartelé entre le manifeste et la rêverie, l’aveu personnel et l’allégorie cosmique, peine à unifier ses élans en une forme véritablement organique.

Il serait tentant de lire le premier long-métrage de Thibault Emin comme une fable sexuelle macabre façonnée par l’ombre du post-Covid, mais une telle lecture trahirait sans doute ses ambitions plus ambivalentes. L’intrigue se concentre sur Anx, jeune homme introverti et refermé sur lui-même, qui entame une liaison avec Cassandre, figure solaire et désinvolte. Le récit, enfermé dans l’espace clos d’un appartement, ressuscite l’imaginaire du confinement, tout en jouant des hors-champs : une voisine énigmatique appelé Setsuko et son chien, un résident du rez-de-chaussée à la présence trouble, un journal télévisé saturé d’annonces apocalyptiques, un monde extérieur verrouillé par des patrouilles militaires. Thibault Emin bâtit ainsi un microcosme vibrant, où chaque détail semble pointer vers une réalité plus vaste, plus inquiétante, mais aussi plus abstraite – comme si le réel vacillait, à force de se réduire à une expérience sensorielle et mentale.

Coming of age?

Emin paraît d’abord s’engager sur le terrain balisé du récit d’initiation : celle d’une émancipation où Anx, lesté de ses inhibitions et de ses angoisses infantiles, franchirait enfin le seuil de l’âge adulte. Le décor même épouse cette lecture : la chambre d’Anx, saturée de néons criards, regorge de bibelots puérils ; les jeux de rôle qu’il partage avec Cassandre, d’abord anodins, glissent insensiblement vers une sensualité trouble ; et le métier de Cassandre – qui s’occupe d’enfants handicapés – vient inscrire une dimension littérale au motif de l’enfance empêchée. Le film semble ainsi accumuler les signaux d’une régression à surmonter, en multipliant les signes d’un développement psychique à l’arrêt.

Mais cette trajectoire n’est qu’une fausse piste : flottant entre le conte abstrait et la confession onirique, Else tient davantage de la fable intérieure. Le réalisateur  injecte dans la trame narrative des éléments manifestement autobiographiques – fragments de mémoire, doutes existentiels, figures fantasmées. Si le film débute comme une étude de caractère à travers cette proximité à la psyché de Anx, il bifurque progressivement vers une supplication intime, un cri intérieur face à sa crise identitaire. Et c’est précisément là que le titre révèle sa portée : dans le désir du cinéaste-métaphysicien de s’extraire de lui-même, de sa forme, de son humanité même, pour devenir something else.

Le pari de Pascal

Dans une scène charnière, alors qu’Anx sombre dans une forme de paranoïa alimentée par l’effondrement du monde extérieur – allusion à peine voilée à la catastrophe écologique contemporaine –, il invoque le pari de Pascal comme ligne de con...