Instagram permet l’émergence de nouvelles formes de création poétique. Enfant-pouète propose régulièrement, sur son compte, de courts poèmes qui parlent de la vie quotidienne et de ses désillusions avec un langage neuf. Instagram n’est cependant pas son seul moyen d’expression puisqu’il met également ses poèmes en musique et a écrit un recueil, Une plage couleur nuit. Il revient, avec nous, sur les différentes formes que prend son écriture.

Enfant-pouète

Quelles sont vos méthodes d’écriture ?

J’écris vraiment que des poèmes, des romans ou des formes hybrides qui se trouvent un peu entre les deux. L’écriture précède toujours le post, elle n’est pas spécifiquement pensée pour Instagram puisque je ne veux pas transformer ce que je crée pour que cela corresponde aux normes des réseaux, il n’y a que le visuel ensuite qui, lui pour le coup, respecte les « codes des algorithmes » sinon mon travail passerait à la trappe. 

Comment avez-vous construit ce personnage – qui porte une identité malgré son anonymat apparent ?

Je trouvais que c’était intéressant de sortir de cette image très XIXe siècle qui colle à la poésie et la cagoule faisait un bon contraste avec tous ces clichés. La littérature manque de voyous en fait, de ce côté subversif dans la langue, elle est trop conformiste, trop propre sur elle. Je voulais proposer quelque chose de plus moderne, de plus incisif puis qui parle aux jeunes aussi. C’est pas moi qui ai fait la cagoule mais je l’ai dessiné par contre avec des couleurs qui rappellent un peu l’hallucination puis c’était vraiment pour sortir de cette vibe « piano, costard, absinthe ».

Quelle est l’influence de Rimbaud dans votre œuvre ?

Je pense que pour écrire il faut avoir le plus d’outils en main. J’aime bien Rimbaud parce que c’est un des premiers qui à mon sens est allé aussi loin dans la langue, y’a quelque chose de rebelle chez lui évidemment mais à l’intérieur de ce qu’il écrit surtout, comme un véritable territoire d’expérimentation, avec des aphorismes géniaux, des images très modernes, des bizarreries de style etc, jusque dans la structure de ses poèmes, notamment les derniers, il a proposé quelque chose de nouveau qui se rapproche au plus près de la vie où tout nous traverse en même temps. J’ai pas beaucoup de références avant le XIXe siècle parce que c’est encore trop dans les clous, disons que c’est vraiment à partir de la prose poétique qu’on a commencé à tout faire éclater, à partir de là y’a vraiment eu de vraies propositions comme Alfred Jarry, Blaise Cendrars, André Breton, Louis-Ferdinand Céline, Roger Gilbert-Lecomte, Franz Kafka, Virginia Woolf, William Burroughs, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Charles Bukowski, Nelly Arcan etc etc, etc. Je pense qu’il faut être « moderne » ; mais ça veut aussi dire prendre le passé, le comprendre et le digérer. Si on n’a pas de références et d’héritage poétique, on fait n’importe quoi. Il faut investir le passé et y ajouter sa sensibilité ; la façon dont on parle maintenant, l’argot et les syntaxes de certains rappeurs/chanteurs, les dialogues au cinéma, etc.

Je pense qu’il faut être « moderne » ; mais ça veut aussi dire prendre le passé, le comprendre et le digérer.

Pour vous, est-ce qu’il y a un lien entre le rap et la poésie ?

Alors je pense pas que les rappeurs soient les nouveaux poètes comme on peut beaucoup l’entendre parce que ce serait un peu dénigrer le rap que de dire ça, comme si le rap ne valait pas en soi, qu’il prenait de la valeur qu’en l’affiliant à une pratique qu’on estimerait plus « noble » enfin… c’est giga méprisant. Ce sont juste deux arts avec des cultures très différentes et j’trouve ça un peu idiot de vouloir les hiérarchiser. En revanche je pense qu’ils peuvent se rejoindre au niveau de la langue, il y a certains rappeurs qui écrivent un million de fois mieux que certains poètes contemporains par exemple.  Après je trouve que malheureusement beaucoup de rappeurs s’enferment dans quelque chose de trop tape-à-l’œil, avec une surenchère de figures de style de mauvais goût à base d’assonances, d’allitérations, de rimes etc mais si on enlève ça y’a des choses vraiment brillantes qui en ressortent que ce soit en termes d’argot, d’images ou de syntaxes. Puis le rap c’est aussi beaucoup plus que juste de l’écriture c’est pour ça que les poètes, même si c’est pas toujours le cas, se devraient d’être de meilleurs écrivains, parce qu’ils ne doivent être attentifs qu’à l’écriture, là où les rappeurs doivent aussi travailler sur les placements, les toplines, parfois sur les prods. Après la frontière tend à s’estomper de plus en plus car les poètes commencent eux aussi à parler sur des instrumentales, à l’interpréter devant un public, à faire des vidéos-poèmes etc mais je pense que de toute façon c’est et ce sera toujours bien distinct parce que la culture n’est pas du tout la même. 

Vos poèmes sont souvent en vers libres. Quel est votre rapport à la rime ?

Je pense que les contraintes systématiques appauvrissent la langue. Je trouve ça dommage de devoir se conformer à faire des rimes à chaque fin de phrase, ça tue complètement le rythme parce que c’est attendu. Avec la prose poétique, l’expression est libre, on peut faire tomber les phrases où on veut. Faire des rimes trahit souvent ce que l’on veut dire aussi, dans le sens où on l’aurait forcément dit autrement sans, en mieux, car on aurait eu plus de possibilités. Moi je déteste les contraintes et je pense qu’à la fin du XIXe siècle les poètes s’en sont libérés pour aller plus loin justement puis la rime c’est too much en vrai, précieux, bourgeois presque, perso j’ai plutôt envie d’écrire comme je parle.  Booba disait « j’rappe comme j’cause » et je suis assez d’accord avec ça. 

Quelle est la frontière qui distingue le moment où l’on parle et le moment où on fait de la poésie ? 

Dans la poésie il y a un gros travail sur la langue pour dire mieux ce que l’on avait envie de dire à la base et c’est pour ça surtout, les figures de style, genre c’est pas pour « faire joli » qu’on écrit « sous les coups de fusil du soleil », c’est parce qu’on trouve que c’est une façon beaucoup plus juste de dire qu’on crève de chaud. L’image c’est une manière de redéfinir poétiquement le monde quelque part, même si ça sonne toujours un peu comme un poncif quand on le dit.

Comment abordez-vous vos thèmes, notamment la mélancolie ?

J’écris sur ce qui me traverse et quand ce sont des phrases déprimantes c’est pas du tout pour me relier à une tradition de poètes maudits ou quoi c’est juste que c’est ce que j’ai à dire à ce moment-là, puis je pense qu’on est dans un monde plutôt tristoune en vrai donc les « thèmes » de la dépression, de la folie, des addictions, de l’amour compliqué etc ça me parle. Mais j’ai du mal à me conformer à des thèmes imposés de toute façon, je fais jamais ça même, je laisse les choses me traverser plutôt puis y’a cette « urgence d’écrire » également, disons qu’on choisit pas vraiment sur quoi on veut écrire j’imagine…