La semaine dernière, Zone Critique publiait une critique du très beau premier roman Par-delà l’oubli. Nous vous proposons aujourd’hui un entretien avec son auteur, Aurélien Cressely, qui retrace la genèse de son récit s’inspirant de la vie de René Blum, tour à tour journaliste et critique à la Revue blanche et à Gil Blas,  directeur artistique du théâtre de Monte-Carlo puis propriétaire de la compagnie des ballets de la même ville où il succéda à Diaghilev.

Votre roman est très bien reçu chez le public ? Avez-vous attendu ces acclamations ?

Je suis très heureux de l’accueil que mon roman a reçu de la part des lecteurs. J’ai beaucoup de retours très positifs sur le livre, l’histoire comme le personnage. C’est très encourageant pour moi. Et puis, cela me permet de faire énormément de nouvelles rencontres, enrichissantes. Je découvre tout un nouveau monde de passionnés de littérature qui apportent aux auteurs un soutien précieux.  

J’ai conscience d’avoir énormément de chance de vivre une aventure comme celle-ci. C’est unique.

Mais il est vrai que je ne m’étais jamais vraiment posé la question de l’accueil qui pouvait être fait à mon roman. Lorsque l’on publie un premier roman, tout est nouveau. Et jusqu’à la sortie officielle du livre, c’est un long tunnel. Il y a l’acceptation, puis la phase de fabrication du livre (corrections, relecture, cohérence du texte) et enfin la préparation de la promotion avec les rencontres des différentes équipes de Gallimard (presse, marketing, droits étrangers et audiovisuels) et des libraires.

Il est donc difficile de cerner les attentes des lecteurs. D’autant plus que la littérature, comme l’art en général n’est pas une science exacte. Ce qui va être un succès est souvent inattendu. Et heureusement d’ailleurs ! La diversité de l’offre littéraire est précieuse. Nous devons nous en réjouir. Il y a de la place pour tous. Pour les primo-romanciers comme les auteurs déjà expérimentés. 

Je remarque d’ailleurs que les primo-romanciers font l’objet d’une attention particulière de la part du public. Il y a beaucoup de bienveillance et d’indulgence. C’est très agréable d’évoluer dans cet environnement. Et puis, c’est très stimulant.

Par-delà l’oubli est votre premier roman. Avez-vous l’intention de continuer votre carrière dans ce sens ?

Si l’envie d’écrire était présente avant Par-delà l’oubli, elle reste présente après. Et je m’en réjouis. 

Avant toute chose, c’est le désir qui me semble le plus important dans l’écriture. Elle ne doit être ni un fardeau ni une contrainte. Pour ma part je veille à conserver l’écriture comme un plaisir. Même si elle amène une discipline qui s’avére difficile à entretenir. Mais l’un n’empêche pas l’autre en ce qui me concerne. Il faut être organisé et baliser des plages d’écriture. Il existe également une certaine souffrance. Il y en a toujours dans la création. L’écriture n’est pas un long fleuve tranquille. Les lignes ne s’écrivent pas aussi simplement qu’elles se lisent. Cependant, au bout, le résultat procure une joie sans commune mesure. De terminer l’écriture d’un livre. D’être lu. Et d’apporter un petit quelque chose aux lecteurs. 

Car le livre vit en dehors de son auteur. Une fois écrit, il doit faire son propre chemin. Quelque part, il ne m’appartient plus. Et je serai heureux de voir que d’autres se saisissent de mon roman pour en faire quelque chose de différent, du théâtre, un documentaire ou, pourquoi pas une adaptation cinématographique. Je considère avoir posé une première pierre. D’autres devront être assemblées. 

Pour ma part, je souhaite me consacrer à d’autres projets. Sur d’autres sujets. Différents. J’ai dans l’idée de construire quelque chose autour des oubliés. Ce n’est pas encore totalement construit dans mon esprit. Mais l’idée chemine petit à petit. J’ai commencé avec René Blum. Je souhaite poursuivre mon travail et proposer aux lecteurs d’autres histoires.

Donc, pour répondre précisément à votre question, je vous confirme que je travaille déjà sur un autre projet. Mais je ne peux pas encore en parler. C’est encore trop neuf. Pas assez abouti. Je ne sais pas où ce projet mènera exactement. J’espère à un nouveau roman !

Dans ce roman, vous avez retracé la vie réelle mais romancée de René Blum. J’aimerais savoir ce que représente personnellement pour vous cet homme ? 

René Blum représente, pour moi, bien plus que le personnage de mon roman. Avant d’écrire sur cet homme, je l’ai admiré. 

C’était un homme qui allait jusqu’au bout de ses idées. Une qualité assez rare pour la souligner.

Tout jeune déjà, il avait eu la force de refuser la proposition de rejoindre le magasin familial rue du Quatre-Septembre pour faire de l’art et de la culture son métier. Bien lui en a pris. Il eut une ascension professionnelle formidable. Tour à tour journaliste et critique à la Revue blanche et à Gil Blas, il fut aussi directeur artistique du théâtre de Monte-Carlo puis, propriétaire de la compagnie des ballets de la même ville où il succéda à Diaghilev à la tête sans doute de la plus prestigieuse troupe du monde.

Puis, face au danger et au péril qu’il eut à vivre dans les camps de concentration, d’autres qualités de René Blum se révélèrent à tous ceux qui ne le connaissaient pas personnellement. Son courage. Son honneur. Il affronta l’horreur des camps d’internement français en restant digne. Malgré l’horreur dont lui et ses autres camarades de détention furent victimes. 

Puis, face au danger et au péril qu’il eut à vivre dans les camps de concentration, d’autres qualités de René Blum se révélèrent à tous ceux qui ne le connaissaient pas personnellement. Son courage. Son honneur. Il affronta l’horreur des camps d’internement français en restant digne. Malgré l’horreur dont lui et ses autres camarades de détention furent victimes. 

René Blum est un homme sur lequel nous devrions tous prendre exemple. Un homme avec une certaine grandeur. Grandeur souvent absente. Voire perdue.

Je suis parfois inquiet de la situation politique dans laquelle nous nous dirigeons progressivement. J’ai cette désagréable impression que notre pays se renferme de plus en plus sur lui-même. Je pense souvent à René Blum, à ce qu’il aurait pensé. Lui était un partisan de l’ouverture de notre pays. Il avait confiance en l’autre. L’autre n’était pas une menace. Apprenons à nous souvenir du passé. Des erreurs que nous avons déjà commises. Pour avancer dans la bonne direction. Pour tendre la main aux autres. Les plus faibles. Les plus précaires. Les plus fragiles. Ayons conscience de notre chance. Et accordons notre confiance. C’est, je pense, la meilleure leçon que nous pouvons tirer du passé.

En quelque sorte la littérature se bat contre l’oubli. Partagez-vous cette opinion ?

Oui. Et non. 

La littérature est la plus belle des choses. Elle peut être sans doute le meilleur des moyens de lutter contre l’oubli. En apportant la conscience. Des choses passées. Pour les choses à venir. En ce qui me concerne, je pense que la littérature m’a sauvé. Elle m’a permis de comprendre le monde comme je n’aurais jamais pu le faire autrement. Elle a contribué à élargir le spectre de mes possibilités, au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. La littérature est quelque chose de bien plus grand que l’homme. En cela, grâce à elle, l’oubli est combattu. Parfois même battu. Et puis l’écrit reste. Les lignes demeurent. Par-delà la mort de leur auteur. C’est l’immense puissance de la littérature. L’éternité.

Mais elle peut également s’avérer être un redoutable outil pour oublier. Ou cacher une vérité. Lorsque ceux qui, consciemment ou non, volontairement ou non écrivent des textes qui créent un oubli par l’omission, le détournement de la vérité ou tout simplement par le mensonge. Lorsque l’on écrit sur des faits réels ou des personnages ayant réellement existé, je considère qu’il y a un devoir : celui de la vérité historique. Par respect envers l’histoire, envers la vérité.

De mon côté, je souhaite poursuivre ce travail de mémoire et de lutte contre l’oubli que j’ai commencé avec Par-delà l’oubli. Au travers d’autres textes qui permettront de mettre en lumière des mémoires disparues. Je suis très heureux d’avoir la chance de le faire. Mais je rappelle que je ne suis pas un historien. Je suis simplement un romancier. Et je tiens ici à rendre hommage à tous les historiens qui me permettent d’avoir des sources documentaires fiables et rigoureuses sur lesquelles je m’appuie dans mon travail. Ce sont eux qui sont en première ligne contre l’oubli. 

  • Par-delà de l’oubli, Aurélien Cressely, Gallimard, 2023

Propos recueillis par Velimir Mladenović

Crédit photo : Aurélien Cressely / © Francesca Mantovani