Hélène Morita et Tomoko Oono reviennent sur le processus complexe de traduction en français de l’œuvre du célèbre auteur japonais et nous partagent les subtilités de sa plume si particulière.

Zone Critique :Pourriez-vous nous parler brièvement de votre parcours en tant que traductrice et ce qui vous a conduit à traduire Murakami ? L’aviez-vous lu avant de le traduire ?

Hélène Morita : À l’origine, je n’avais pas spécialement le désir de devenir traductrice. Mais j’avais dès mon enfance une sorte de « passion Japon » qui englobait à peu près tous les aspects de la culture japonaise, ou du moins ce que j’en entrevoyais à cette époque. Puis, enfin sur place, j’ai été mise en contact avec un poète japonais, M. Taijirô Amazawa, qui m’a suggéré d’aller explorer les écrits de Kenji Miyazawa. Et, petit à petit, en découvrant cet univers unique et pour moi enchanteur, j’ai songé à en traduire quelques-uns, ce qui n’a pas été sans difficultés ! Les années ont passé, et un jour, les éditions Belfond m’ont proposé de traduire un roman de Haruki Murakami. Il s’agissait, selon le titre français, du Passage de la nuit. Je connaissais cet écrivain de réputation, mais je ne l’avais pas vraiment lu.

Tomoko Oono : Je crois que mon premier Murakami a été Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, vers mes 18 ans. J’ai simplement voulu lire cet auteur dont tout le monde parlait et j’ai surtout été attirée par ce joli titre énigmatique. Mais ce n’est qu’après avoir participé à la traduction d’autres romans de l’auteur que j’ai commencé vraiment à découvrir Murakami.

ZC : Quelles sont les spécificités de l’écriture de Murakami ? Il est souvent présenté comme l’auteur japonais le plus occidental en raison de son lien avec l’anglais mais aussi parce que son œuvre témoigne d’une grande connaissance de la culture européenne. Est-ce que cela se reflète dans sa pratique du japonais ?

HM: Il est vrai que j’ai été frappée, à ma première lecture, par la différence entre son écriture et celles qui m’étaient plus familières, celles d’écrivains plus anciens, comme Osamu Dazai, Natsume Sôseki, Yasunari Kawabata et Kenji Miyazawa. L’écriture de Murakami est en effet plus explicite, plus directe, un peu moins allusive, encore que…! Il s’agit en somme d’une écriture tout à fait contemporaine, celle d’un écrivain japonais pleinement de son temps. A-t-il été influencé par ses longs séjours aux USA, par sa connaissance de la langue anglaise, par le fait qu’il a lui-même traduit des auteurs américains ? Peut-être. Il n’en reste pas moins un romancier japonais à part entière.

TO : Son style se distingue effectivement par ses phrases concises, avec ses choix de mots plutôt familiers, ce qui n’est pas vraiment le cas des autres auteurs japonais. Le lecteur ne se perd pas dans le dédale d’une syntaxes à la structure complexe et arbitraire. Dans ses dialogues (ou les pensées à la première personne) aussi, on décèle des manières bien propres à l’écrivain : ses personnages reprennent très souvent et mot à mot une partie de la phrase émise par leur interlocuteur juste avant ou ils utilisent des interjections que tout le monde connaît mais que personne n’emploie à l’oral. Clarté du texte, répétition, lexique parfois très personnel et le rythme qui émane de cet ensemble revêt son œuvre de cette ambiance si caractéristique et laisse l’impression d’une écriture traduite – d’un texte venu d’ailleurs. Tout cela vient certainement, comme l’affirme Murakami lui-même, du fait qu’il a toujours été un grand amateur de la littérature et de la musique occidentales (nous savons tous qu’il est lui-même traducteur et ancien gérant d’un club de jazz) : Freud, Jung, de l’opéra, à la musique pop en passant par le baroque, sans parler de Chandler ou Fitzgerald. Il semble alors naturel que des références occidentales ou européennes soient omniprésentes aussi bien comme accessoires que comme décors de fond dans ses romans. D’un autre côté, si le monde accueille aujourd’hui son œuvre sans se heurter aux barrières culturelles, c’est non seulement grâce au rapprochement des modes de vie de ces dernières décennies entre les différents pays mais aussi grâce à l’universalité des sujets ou ressentis que traite Murakami.

ZC : Quels sont les plus grands défis à relever en matière de traduction et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de Murakami ? Comment traduire sans trahir ?

HM : Je crois qu’il faut se débarrasser du fameux dilemme « traduction = trahison » et tenter, comme le dit Paul Ricoeur, de « construire des comparables ». Le travail du passage des textes de Murakami en français n’a dès lors rien de particulier ou de spécifique.

TO : Sinon par exemple, pour La Cité aux murs incertains, nous nous sommes interrogées au sujet du mot « ombre » car celle du personn...