Un an et demi après le succès international de Vivre nu, l’écrivaine et philosophe Margaux Cassan publie Ultra violet aux Éditions Grasset. Dans une œuvre hybride où l’essai se mêle au récit de soi, l’autrice propose une petite histoire du soleil, de la peau qui change de couleur et de notre amour – parfois périlleux – de la métamorphose. Entretien.
Deux ans après le succès de Vivre nu, où vous proposiez une exploration philosophique et littéraire du naturisme, vous publiez aujourd’hui Ultra violet, toujours aux éditions Grasset. D’abord, j’aurais aimé revenir avec vous sur la genèse de ce projet : qu’est-ce qui vous a menée de la nudité au soleil ?
Je pars toujours d’une image. Cela faisait quelques années que je vivais avec l’image d’une tache sur le front de ma mère, une tache pourpre, un mélanome qu’elle cachait mal sous des mèches peroxydées. Même quand la peau est nue, elle est habillée, de tatouages, de cicatrices, de taches. J’ai voulu raconter ce que ces taches de soleil disent de cette génération qui a entre cinquante et quatre-vingts ans aujourd’hui. À mon sens, beaucoup de choses : un mépris pour la protection, un goût du risque et de l’exposition, une société dans laquelle le corps est la clef du pouvoir, et où la liberté est la valeur phare. Une société où l’on a le pouvoir de se transformer, de muter, socialement et physiquement.
En vous lisant, je me suis rendu compte que vos livres ne s’apparentaient que difficilement à un genre littéraire déterminé. Le lecteur est toujours en lisière, incertain de la nature de ce qu’il lit, passant d’une page à l’autre du romanesque à l’essai, du récit de soi à l’autofiction. Comment percevez-vous votre propre pratique littéraire ? Qu’est-ce qu’Ultra violet ?
Je dirais que c’est un livre hybride au sens où comme la peau, d’ailleurs, il s’exprime en millefeuilles : l’épiderme, le derme, l’hypoderme qui sont ici l’essai, la fiction, l’enquête. Je crois beaucoup en ces formes errantes parce que si l’on écrit une philosophie du corps en écartant la fiction, on se prive du « je » qui seul peut raconter vraiment l’expérience de la brûlure, de la cabine à UV, et même de la filiation. On n’écrit pas le corps avec les mots de la bibliothèque. Et vice versa, la fiction seule, je ne saurais pas quoi en faire, j’ai envie d’aller chercher ce qui motive le personnage, dans la sociologie, dans l’Histoire, dans le patrimoine culturel qui le constitue. J’essaie de voir ce qui dans les anecdotes personnelles convoquent des mythes ou des utopies universelles, ou d’époque.
Dans ce nouveau livre, il y a deux personnages principaux, si je puis dire : le soleil et votre mère. Concernant le soleil, d’abord, vous présentez une classe bien précise de figures ayant choisi « de brunir leur peau pour parvenir », en précisant dès les premières pages l’ambition de votre travail : « Les Rastignac du soleil, dont l’ambition baignait dans l’huile, n’ont plus la cote. Ce livre raconte leur déclin. » Alors, qu’est-ce qu’un Rastignac du soleil ? Et qu’entendez-vous, lorsque vous parlez de leur déclin ?
Les « Rastignac du soleil », ce sont des hommes et des femmes qui ont entre cinquante et quatre-vingt ans aujourd’hui. Ce sont des ambitieux qui sont allés chercher la réussite avec la peau. Ils sont bronzés parce qu’en étant bronzés, ils envoient le signal d’une appartenance sociale mais aussi d’un certain hédonisme, d’un état de santé, de leur propre victoire. On pense à quelqu’un comme Jacques Séguéla qui a revendiqué ce lien entre la peau mate et le succès, et même d’une certaine façon, Donald Trump. Aujourd’hui, la peau bronzée est au mieux kitsch, au pire dangereuse.
Les « Rastignac du soleil », ce sont des hommes et des femmes qui o...