Un entretien réalisé à Paris, dans un salon de thé place Moustaki, le 17 mars 2025.

Victor Dumiot : Est-ce que vous pourriez commencer par nous expliquer comment ce livre est né ? Comment avez-vous décidé d’écrire sur Jeanne d’Arc et Gilles de Rais ?

Stéphanie Hochet : Cela faisait longtemps que Gilles de Rais m’intriguait, mais je ne savais pas comment l’aborder. J’avais mis ce projet de côté. Concernant Jeanne d’Arc, je cherchais une figure féminine emblématique ancrée profondément dans l’histoire. Jeanne s’est naturellement imposée.

Victor Dumiot : Avez-vous déjà travaillé sur elle auparavant ?

Stéphanie Hochet : Non, jamais. Je voulais d’abord savoir si elle allait réellement me plaire. J’ai fait beaucoup de recherches historiques, j’ai lu tout ce que je pouvais sur elle, en me demandant si elle saurait m’inspirer suffisamment pour un roman. Ce qui m’a frappée immédiatement, c’est son éloquence, sa force mentale extraordinaire face à ceux qui cherchaient à la piéger. Elle se révélait à la fois vulnérable, en tant que femme issue du peuple, mais aussi très déterminée à s’affranchir de sa condition. Refuser le destin de fille de laboureur, celui de femme mariée que ses parents lui réservaient, c’était déjà une transgression radicale. Jeanne affirme son utilité au Royaume de France et à son roi comme une manière de rejeter la soumission attendue d’elle, suivant le modèle maternel. Elle finit par imposer aux hommes : « Vous allez m’écouter et me suivre ». Ce qui est fascinant, c’est que cela fonctionne. Je ne connais aucune autre héroïne française qui soit entrée aussi profondément dans l’histoire mondiale, jusqu’au Japon même. Cette figure m’a permis d’aborder Gilles de Rais, qui continuait à me hanter depuis longtemps.

Victor Dumiot : Ce que vous dites dans votre livre, c’est d’abord l’histoire d’un arrachement à un destin social. Et celle d’une lutte des sexes. Mais aujourd’hui, cette figure de Jeanne d’Arc est souvent récupérée par l’extrême droite…

Stéphanie Hochet : Je trouve cela profondément choquant. C’est absurde. Dans mon livre, je présente Jeanne avant tout comme une figure d’émancipation sociale et comme un enjeu dans la lutte des sexes. On peut parfaitement la considérer comme une icône féministe. Son appropriation par l’extrême droite est inacceptable. Si nous laissons faire, bientôt on nous dira que Jean Moulin appartient aussi à l’extrême droite. Devrait-on alors abandonner Jean Moulin ? Cela n’a aucun sens, c’est un anachronisme grave et dangereux. Jeanne était une jeune femme du Moyen Âge, n’ayant rien à voir avec les concepts contemporains de haine ou de racisme. Elle combattait une armée étrangère occupant son pays. Rien à voir avec la récupération actuelle.

Victor Dumiot : La deuxième grande figure est Gilles de Rais. Pourquoi cette fascination pour lui ?

Stéphanie Hochet : Gilles de Rais me hantait depuis longtemps sans que je sache exactement comment l’aborder. Il y a des raisons presque psychanalytiques à cela. À vingt ans, j’étais très malheureuse. À l’époque, sans Internet, j’avais cherché dans un annuaire le nom d’un psychologue et j’étais tombée sur un certain Gilles Le Ray. Ce nom m’avait plu étrangement. Des années plus tard, j’ai découvert que ma famille paternelle venait en partie de Vendée, précisément de Tiffauges, où Gilles de Rais possédait l’un de ses châteaux. Sans le savoir, je venais de ces terres-là.

Victor Dumiot : On pourrait penser que votre livre oppose simplement la pureté de Jeanne à l’impureté de Gilles de Rais, mais vous nuancez en questionnant aussi bien la pureté de Gilles que l’impureté de Jeanne.

Stéphanie Hochet : Exactement. Jeanne possède des côtés agaçants, une certaine rigidité morale, par exemple quand elle réprimande violemment les soldats jurant ou les prostituées qui suivent les troupes. Elle a aussi une forme de naïveté. J’ai imaginé une scène sensuelle entre elle et Gilles, lors d’un bain partagé dans une rivière après les batailles. Rien historiquement ne le confirme, mais j’aime imaginer ces interstices possibles. Pour un romancier, créer dans ces silences de l’histoire est absolument vertigineux et excitant. Même si Michel Tournier a déjà exploré leur relation, mon approche personnelle s’y ajoute, avec mes commentaires et interventions.

Quant à Gilles de Rais, c’est un personnage monstrueux, mais pas uniquement. C’était aussi un aristocrate, extrêmement riche, un guerrier reconnu, devenu le plus jeune maréchal de France à seulement vingt-cinq ans. Sa vie bascule après la mort de Jeanne, peut-être suite à une désillusion ou à une douleur profonde. Rapidement ruiné par son train de vie extravagant, il se tourne vers la sorcellerie, la recherche de richesses occultes, organisant des messes noires et se livrant à des actes abominables envers de jeunes victimes. On peut le voir comme le premier tueur en série de l’histoire, tragiquement français.

Victor Dumiot : Vous expliquez cette dérive en évoquant une grande désillusion morale après la mort de Jeanne.<...