Chaque été, le train en partance de Gare de Lyon se mue en caravane de pèlerins du théâtre. Direction Avignon, ville-spectacle où les pierres suintent la chaleur et les tracts s’empilent plus vite que les heures de sommeil. Dans ce récit de voyage teinté de veille, de lumière et d’attente, Milène Lang capte le moment suspendu où l’on glisse de l’anonymat du wagon à la ferveur des ruelles. Avant même d’entrer dans une salle, le Festival a déjà commencé.

Tout commence par un train au départ de Gare de Lyon. 

Le train dessert Avignon, Aix-en-Provence et Marseille, son terminus. Malgré la nuit grise de Paris, le trajet en métro pour rejoindre la gare sent déjà le soleil. Les valises ne sont pas appesanties par des chandails et des petites laines à enfiler le soir venu, mais elles sentent la crème solaire et les sandales de cuir. Certains auront pris un parapluie ou un K-way, mais la plupart aura sciemment choisi de les oublier, par superstition ou par optimisme.

Le train dessert Avignon, Aix-en-Provence et Marseille, son terminus. Malgré la nuit grise de Paris, le trajet en métro pour rejoindre la gare sent déjà le soleil.

Le train part tôt – d’ailleurs je ne me rappelle même plus s’il faisait jour quand je suis montée dans ma rame. Les mines des voyageurs sont une surimpression de l’effroi ressenti quand a retenti la sonnerie bien trop précoce du réveil, l’excitation du voyage et l’euphorie liée à la destination. Dans le train, les festivaliers se mêlent aux vacanciers. Certains parlent déjà de la 79e édition du Festival d’Avignon et de ses 1724 spectacles portés par 1170 compagnies françaises et par 169 compagnies étrangères, d’autres évoquent des éditions antérieures, énumérant parfois des spectacles-phares dans une chronique qui exclue une bonne partie des voyageurs, leurs compagnons de route y compris. Les années parfois se teintent de snobisme, mais que peut-on bien y faire ?  D’autres encore n’espèrent qu’une chose : rattraper au plus vite la dette de sommeil déjà contractée ce jour. Quand les festivaliers montent, les enfants, eux, ont déjà fermé leurs paupières dans les bras de leurs parents. Leur éveil n’est qu’un sentier qui bifurque dans le pays des songes habités de l’enfance. Les festivaliers sont affublés de guitares dans leurs housses, de sacs de randonnée usés, de tote-bags à l’effigie de telle ou telle institution culturelle ou de telle autre structure. Leurs tissus usés deviennent des indices du délitement du service public et en particulier dans le domaine de la culture. Mais l’heure n’est pas encore à la politique ou plutôt elle n’aura jamais cessé de l’être sans que jamais on ne puisse l’arrêter. La journée comme le train sont lancés. Les festivaliers tournent au café du wagon-bar et à l’adrénaline. Mais ils se rendorment finalement et seul le contrôleur zélé venu vérifier les titres de transport peut les ramener à nouveau à la conscience.

Le contrôleur pénètre dans ma rame alors qu’une demie heure seulement nous sépare de notre arrivée en gare d’Avignon TGV. Je peste moi aussi d’avoir été interrompue dans ma rêverie, réelle ou figurée. Je prends mon téléphone et tends mon e-billet à l’agent de la SNCF. Le temps de sa vérification, je m’aperçois qu’au dehors la lumière du midi inonde l’air, là de l’autre côté de la fenêtre, alors que le train fil...