« Un drame amusant, c’est ça la vie non ? » Si Françoise Sagan s’est éteinte il y a dix ans jour pour jour, son mythe n’a jamais cessé de flamboyer. Plusieurs biographies, un biopic, une pièce de théâtre, des rééditions de ses oeuvres et des articles continuent de faire vivre ce charmant petit monstre. Mais aujourd’hui que reste-t-il de Sagan ? Surtout des scandales, et quelques anecdotes éclatantes qui nous font oublier que Sagan reste un des écrivains phares du XXème siècle.
Françoise Sagan est une icône. Mais malheureusement pour l’écrivain qu’elle est, ce ne sont pas ses livres, plus que savoureux pourtant, qui ont marqué le grand public mais plutôt son image de femme libérée. Je ne perdrai pas mon temps à raconter ses soirées enflammées à Saint-Tropez, ses coups d’amour, ses addictions, ses déboires avec la justice, sa passion pour les belles voitures et de son amitié avec François Mitterrand. Tout a déjà été dit. Profitons de cette page pour défendre l’écrivain.
Denis Westhoff, fils unique de Sagan, a publié Sagan et fils aux éditions Stock en 2012. Sa parole fait autorité. Bien plus que tous les écrits la concernant. Au-délà de raconter la Sagan intime, Denis Westhoff exprime clairement le but de son livre: restaurer la vérité parfois salie, qui a animé le phénomène Sagan depuis sa mort.
Il déclare : « Car si peu m’importe la légende qui porte en elle des images de gaîté (…) il m’est en revanche insupportable qu’on la transforme encore à seule fin de se mettre en avant (…) je veux parler de ces biographes tricheurs qui, se prenant pour des écrivains se sont affranchis de la vérité, s’autorisant avec la vie de Françoise Sagan, des libertés qui ne sont pas acceptables. »
Un héritage dévalorisé
Mais alors que reste-t-il de Sagan ? Parmi le panorama d’articles et de livres qui retracent le personnage de Sagan, je n’en retiens qu’un seul. Ses entretiens de 1954 à 1992 parus aux éditions Stock sous le titre « Je ne renie rien ».
C’est tout d’abord la légitimité suprême. Sagan par elle-même. Elle nous raconte son enfance, des anecdotes qui l’ont bercée, les secrets de famille, mais également ses pensées hétéroclites sur la société de son époque. Mieux encore, Sagan nous parle de son œuvre. L’écrivain nous plonge à travers sa conception de la littérature, de l’écriture avec des phrases exquises et des pensées qui s’acheminent pour former un collier de perles nacrées.
Sagan qui s’était cachée derrière cette image iconique de la femme sulfureuse, en avance sur la liberté, apparaît par ces entretiens comme une auteur accomplie qui ne vit que pour l’écriture. Alors pour connaître Sagan l’écrivain, voici quelques remarques éparses qui vous permettront d’en savoir un peu plus sur l’auteur et sa vision de la littérature.
La “petite musique” des doigts de la fée Sagan
Sagan ne s’est pas seulement essayée au théâtre, avec son Château en Suède (véritable succès en Russie, joué et rejoué) ; elle s’est aussi improvisée metteur en scène. Mais en vain : « Je n’ai pas tarder à éprouver que c’était un métier et que je n’avais aucune disposition pour lui. Ca été une catastrophe. »
Elle a touché au cinéma « J’en avais assez de voir mes livres devenir des âneries sur l’écran ». Sagan a également écrit de la poésie mais cette expérience ne l’a pas convaincue « J’ai écrit des kilomètres de poésie. Pas très bons. Et « pas très bons » en poésie, c’est irrémédiable. »
Les deux thèmes qui prédominent dans l’œuvre de Sagan sont l’amour et la solitude. On a souvent reproché aux œuvres leur manque d’actions. « Il y a peu de drames dans mes livres, car quand on y réfléchit tout est dramatique : il est dramatique de rencontrer quelqu’un, de l’aimer, de vivre avec lui (…) j’aime la solitude mais je suis très intéressée aux gens. »
Sagan écrivait toujours à la machine. Pour elle c’était plus encourageant car plus propre.
Les personnages de Sagan sont issus et évoluent dans un milieu bourgeois. Grands appartements parisiens, villas princières, champagnes et belles voitures servent de décor. Mais il faut noter que les personnages ne sont pas non plus à l’abri de tout perdre. Sagan s’explique sur ce choix « social » : « Si mes personnages appartiennent toujours au même milieu, c’est surtout par décence. Dans la mesure où je n’ai jamais connu la misère, ni les problèmes matériels graves (…) »
Ses personnages sont bien lotis. A part quelques maladies légères et des gros chagrins, ils ne subissent jamais de chocs. L’auteur s’en explique par son propre accident de voiture, survenu en 1957 sur la route de Corbeil. « Peut-être parce que j’ai été cassée moi-même en vingt morceaux dans un accident ».
Le plus grand succès de Sagan, Bonjour Tristesse dont le titre est emprunté au poème de Paul Eluard, « A peine défigurée » s’est vendu a plus de deux millions d’exemplaires. C’est l’un des plus grands succès de l’histoire de l’édition française. Pourtant, l’auteur n’a jamais relu cette œuvre. « Oh oui, je l’ai feuilleté il y assez longtemps. J’y ai vu des naïvetés et des roublardises. »
L’écrivain jette un regard très critique et modeste sur son œuvre, pourtant, l’écriture résonne comme un plaisir vital. Elle donne une définition très simple et touchante de ce qu’est « écrire » : « Ecrire c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire. »
A contrario de sa vie trépidante, le rapport qu’entretient Sagan avec la création est sain, rationnel et équilibré. C’est une fulgurance inexplicable. Toujours cette oscillation chez elle, entre l’ordre de ce socle qu’est l’écriture et le désordre éclatant de la femme aux mille rebondissements.
Une écriture parfois rapide, à toute allure, elle avoue pouvoir écrire « dix feuillets en une heure ou deux ». Parfois, sa production artistique est ralentie par l’oisiveté : « Il m’arrive d’écrire un roman en plusieurs période de dix ou quinze jours. Entre temps, je pense à l’histoire, je rêvasse et puis j’en parle. »
L’œuvre de Sagan est conséquente : plus d’une vingtaine de romans, une dizaine de pièces de théâtre, des scénari, des critiques et des journaux. Au total, plus de trente millions de livres ont été vendus en France, et traduits dans une vingtaine de langues. Françoise Sagan pouvait se targuer d’être l’écrivain la plus lu en France dans le milieu des années 60.
Laissons place à Sagan qui s’exprime sur son « phénomène littéraire » : « Je suis un écrivain dont on lit les livres. Cela n’a rien de phénoménal. C’est ce qu’on peut appeler un destin si l’on est romantique (…) une carrière si l’on est cynique, un accident si on n’aime pas mes livres, une bonne chose si on les aime ; une réussite si on se place du point de vue du succès. »
Aujourd’hui, retenons que Sagan aimait physiquement écrire. Pour elle, les mots deviennent une « impulsion sensuelle ». Sagan, de jour, c’est cette femme aux controverses, mais la nuit, elle devient cet oiseau qui s’incline sur sa machine et se plie à la création. Ecrire pour Sagan, c’était la preuve qu’elle existait. Voici l’image qu’on devrait garder, dix ans après sa mort. Rien d’autre qu’un grand écrivain.
Bibliographie indicative
- Bonjour Tristesse, 1954
- Aimez-vous Brahms…, 1959
- Château en Suède, 1960
- Des bleus à l’âme , 1972
- Avec mon meilleur souvenir, 1984
Marie Gicquel