SPACE, pour se répandre, circule, sillonne et dévale. Il s’inspire d’autres et agrippe des miettes en ressentant toute l’étendue d’un trajet. Son voyage est celui de l’écriture et de ses incitations ; un dévalement de références, une tentative de déplacement – celui de Gabriel Gauthier, tantôt romancier, tantôt poète. Un narrateur accompagné par son ami Ben et par ses envies d’ailleurs, de mouvements et de littérature. Un texte plein de liberté, d’automatismes et d’automobiles. Dès lors, en guise d’introduction préventive, et pour reprendre la célèbre phrase de sa maison d’édition (éditions Corti), soyez prévenus, il n’y aura ici « rien de commun », si ce n’est les transports – attachez vos ceintures.
Car SPACE déroule une trame impossible sur l’amitié. Son narrateur divague d’un lieu à l’autre, en quête de vie, de sens et de relations humaines. Il est tout autant le roman de la camaraderie que celui de sa recherche. Tout y est espace et pourtant rien ne l’est vraiment. C’est une lévitation constante d’un lieu à l’autre et d’une pensée à l’autre. Parfois il virevolte et fuse, mais il ne ralentit pas. Son rythme est dense, aussi soudain qu’incontrôlable. Parfois l’on pense à Blanchot et parfois à Perec, parfois l’on pense à Ginsberg et parfois à Pynchon. Il a ses imperfections, mais quel premier roman n’en a pas ? Les imperfections, c’est bien connu, ça donne du charme ; et SPACE, rien qu’à son geste, l’est – tout à fait charmant. Sans doute aurait-il fallu un peu l’épurer ; mais ce bol d’air, assurément, enivrera les soûlographes aux poumons malcontents et insatiables de la rentrée.
Un large poème
Car « un roman, un poème, aussi grand soit-il, est toujours un espace restreint ». Et contrainte d’avoir un sens, la littérature s’est construite sur l’établi d’une chose à dire, à raconter. Les excentriques qui dérivent sur des terres sonores ou gratuites n’ont que rarement leur place. Non, écrire c’est formuler. Mais cependant, par SPACE, Gauthier contourne, esquive, divague, il prend la contre-allée, il s’y enfonce. À chaque séquence ouverte, le narrateur déjoue la logique psychologique à la grâce d’une innovante logique littéraire : un flux de mots qui se perd, qui s’emmêle. À chaque nouvelle partie, chaque nouveau chapitre, on sent l’incoercible poète s’essayer à la fiction. On le lit plein de doutes, de réserves quant à la direction choisie – l’amitié et l’excursion. Il se tente, il se tâte.
Alors le narrateur s’accompagne de Ben et se dirige Outre-Manche, en Italie et en Turquie. Il passe partout et forme des liens, il crée des relations comme il collerait les continents entre eux, supprimant ainsi tout océan de démarquage. Parfois il doute : « Plus il s’agrandissait, moins je reconnaissais l’espace de mon poème. » Car ici, c’est l’histoire d’un long poème qui, petit à petit, devient roman ; l’histoire d’un court instant qui s’enfle en vie entière. Ici, le roman devient une excuse pour propager de la poésie. Et si un bon roman n’était que ça ? Une prose recalée qui, s’agrandissant de page en page, s’accroissant de phrase en phrase, s’instaure comme seule issue possible. Une prose infinie comme la littérature elle-même.
Et si un bon roman n’était que ça ? Une prose recalée qui, s’agrandissant de page en page s’instaure comme seule issue possible.
Un long voyage
« Nous avions conclu que l’état naturel d’un poème, d’un livre, comme d’un bateau, d’une voiture, d’un avion, c’était de ne jamais être à l’arrêt. » SPACE est littéralement une constante confusion des transport...