À quelques encablures du musée Picasso se trouve une très belle galerie dédiée à la photographie et qui présente jusqu’au 29 octobre deux photographes qui nous plongent dans la mémoire de la photographie, celle qui fut, à l’origine, une fabrique de souvenirs gardés précieusement dans des albums ou dans le creux d’un médaillon précieux.
Memento vivere !
C’est donc au 4, rue Saint-Anastase que le visiteur pénètre la Galerie Sit Down pour découvrir une photographie méconnue, parfois oubliée. Disons qu’avec cette exposition, l’on renoue avec l’intime. Loin des réseaux sociaux et de l’égo, les expositions de Chantal Stoman et de Marco Lanza nous montrent des histoires familiales ou plutôt, ils nous demandent de réinvestir ces photographies anciennes pour imaginer des souvenirs.
Chantal Stoman et Marco Lanza sont ces deux cœurs artistes qui, à travers, leur travail photographique fondé sur la photographie ancienne font surgir la mémoire.
J’ai en tête des vers de Pierre Louÿs dans son merveilleux Pervigilium mortis qui se clôt sur « la perle impérissable du Souvenir ». Il y évoque dans les dernières strophes « Le rythme de deux cœurs frappe et marque la trace / De deux pas, sur le sol, sur le roc du passé. » Chantal Stoman et Marco Lanza sont ces deux cœurs artistes qui, à travers, leur travail photographique fondé sur la photographie ancienne font surgir la mémoire.
Chantal Stoman – fragilité de la mémoire
L’œuvre de Chantal Stoman est d’une grande sensibilité. Son expositionÇa a été renoue avec la photographie de la fin du XIXe siècle où il était d’usage de saisir les défunts dans leurs derniers instants parmi les vivants. Il s’agit de cela : rester vivant.
Arpentant un cimetière après le décès d’une proche, elle découvre aux détours de sa flânerie quelque médaillon en céramique sur lequel s’effaçait le portrait d’un disparu. Image fantomatique rongée par l’Ennemi, comme dirait Baudelaire, Chantal Stoman a désiré leur redonné vie, comme une seconde vie après la mort, car l’effacement de l’image, comme elle le dit, apparaît comme une seconde mort. Une renaissance donc qui a pris corps dans ses photographies tirées sur céramique, objet précieux dont la fragilité la rend encore plus importante. La photographie devient objet rare, éphémère qui dure. Une chose devient importante à nos yeux, car, inconsciemment, on n’estime les choses que par leur rareté.
Elle a donc eu l’idée, noble, de reprendre ses images pour les figer ad vitam dans des nouveaux pavés de céramique blanche, retenant un peu plus face au Temps l’image. Outre la beauté de ces objets, il y a tout un travail technique de la photographie. C’est la rencontre entre le maître artisan et l’artisan photographe qui rend cette exposition tout simplement belle et touchante. Avec ses objets, ce sont des histoires familiales infinies qui se révèlent sur les murs de la galerie Sit Down qui a réalisé un merveilleux travail.
Marco Lanza – Palimpseste
En regard des céramiques photographiques, le travail de Marco Lanza est tout aussi sensible et remarquable par le travail de minutie et de recherche du photographe. Marco Lanza a l’âme d’un collectionneur, mais celui qui ne souhaite pas seulement conserver les objets pour le plaisir de les posséder. Non. Il leur redonne vie. D’un lot de photographies anciennes qui s’étendent du début du siècle aux années 70, Marco Lanza a créé un véritable travail artistique à partir du passé. Que nous disait Goethe dans ses Maximes et Réflexions ? « c’est pour le passé et l’avenir que nous devons travailler ; pour le passé, afin de reconnaître ses services, pour la postérité afin d’augmenter sa valeur ».
Par un subtil travail de collage, de découpe, de juxtaposition, de coloris, l’artiste parvient à nous donner de nouvelles œuvres à la manière de Boltanski ou d’Hans Peter Feldman. D’une photographie qui n’avait aucune valeur, car prise par des amateurs anonymes, il parvient à leur donner du sens. Aussi sommes-nous véritablement dans un palimpseste. « Je réduis, j’essaie de sauver les choses qui ont un sens pour moi et j’essaie de recycler, de transformer celles qui ont moins de sens, en leur donnant une valeur esthétique qu’elles n’avaient pas avant. Inévitablement, quelque chose est perdu ou détruit », raconte-t-il. En ce sens, Marco Lanza a l’œil de l’archiviste et du créateur. Nous avons été sensible à certaines œuvres qui forment comme des panoramas immenses où se côtoient le noir et le blanc sous la forme d’un diptyque dessinant un paysage mystérieux. Ou encore, la juxtaposition de bustes d’hommes dont on ignore le visage mais dont on imagine l’élégance par le col blanc et le costume impeccablement mis. Puis, nous avons surtout adoré la superposition de plusieurs photographies anciennes comme si l’artiste nous demandait de deviner l’histoire oubliée cachée derrière.
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La Galerie Sit Down, nichée en plein cœur du Marais, est un repère pour les passionnés de photographie argentique. Ils sont peu à le faire. Ils sont peu à y croire. La photographie est un art incroyable et pourtant qui peine toujours à s’imposer parmi les Beaux-Arts. Il est tout à fait regrettable de ne pas voir les photographes, artisans de leur art, mis plus en avant. Cette exposition témoigne de tout un savoir-faire et d’une histoire de la photographie riche, immense qui touche chacun de nous au plus profond de notre intimité.
Galerie Sit Down – Mémoires effacées jusqu’au 29 octobre 2022.