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Il y a quelques semaines, un remake de la série Buffy contre les vampires a été annoncé. Mais la série initiale mérite-t-elle encore aujourd’hui d’être regardée ?

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Avant de découvrir Buffy contre les vampires, j’en avais à peu près cette image-là : une blonde californienne dotée de superpouvoirs, dégommant des vampires en carton-pâte, tout en bataillant avec une vie sentimentale alambiquée. Cette description s’est révélée exacte en tous points, bien qu’un peu rapide. Les situations étaient effectivement souvent tirées par les cheveux, les effets spéciaux avaient mal vieilli, les dialogues étaient inégaux. Et pourtant, passé les errements de la première saison, la série s’est révélée bien plus riche et complexe qu’un spectateur distrait ou empreint de préjugé ne pourrait le soupçonner.

En s’inscrivant délibérément dans la tradition des comics, du film d’horreur (transformé néanmoins par la prise de pouvoir de la jolie blonde pourchassée par le monstre, comme le souhaitait le créateur Joss Whedon) et de la comédie dramatique pour adolescent[1], la série a réussi, sans jamais renier ses origines, à devenir un phénomène de société mais aussi une œuvre d’art forte et originale, populaire à la manière des grands feuilletons du XIXe siècle.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si depuis plus de quinze ans des chercheurs de domaines très variés (philosophes, sociologues, linguistes, critiques littéraires…) en ont fait un objet d’étude de prédilection, donnant ainsi naissance aux Buffy studies. Aucune autre série n’a à ce jour donné lieu à une telle fièvre analytique. Et si Buffy se démarque autant, c’est d’abord par sa manière de traiter l’adolescence, période de transition et d’angoisse.

Les premières saisons : vivre son adolescence, découvrir la complexité du monde

Les premières saisons reposent sur un postulat simple mais efficace : le lycée est un enfer. Les monstres combattus, qu’il s’agisse de vampires, de loups-garous ou d’insectes géants, ne sont que l’incarnation littérale du mal-être adolescent – en d’autres termes l’art de la métaphore poussé à l’extrême. L’étudiante que personne ne remarque devient vraiment invisible, la mère étouffante s’approprie le corps de sa fille pour lui voler sa jeunesse et les tyrans du lycée sont possédés par des hyènes.

Sans cesse confrontée à d’épineux dilemmes moraux, Buffy se voit contrainte par la force des choses de renoncer à sa vision enfantine et binaire du monde et de se construire un système de valeur singulier.

Buffy est une superhéroïne dès le premier épisode, en raison des pouvoirs qui lui ont été confiés, pouvoirs qu’elle ne comprend pas, qui l’inquiètent et dont elle ne veut pas – métaphore frappante de la puberté. Mais elle apprend – dans la douleur – à devenir une héroïne à part entière, capable de prendre et d’assumer ses décisions. Confrontée quotidiennement aux grandes questions existentielles – qu’est-ce que la mort, le bien, le mal, l’amour, la trahison, le pardon ? – il lui faut accepter de ne pas savoir ou de se tromper, tout en sachant que ses erreurs peuvent avoir des conséquences catastrophiques. Elle doit ainsi agir rapidement et du mieux qu’elle peut, quitte à trancher dans le vif.

Les vampires privés de leur âme symbolisent le refus de grandir, d’intégrer le sens moral, de prendre leurs responsabilités. Ils sont animés par un pur désir de satisfaction immédiate, restant ainsi des « ça » privés de surmoi. Ils ne vieillissent pas, ni ne gagnent en maturité, restant ainsi bloqués dans l’adolescence.

La série raconte aussi la prise de conscience douloureuse du fait que les adultes sont imparfaits, souvent impuissants, parfois malveillants. Les vampires privés de leur âme symbolisent le refus de grandir, d’intégrer le sens moral, de prendre leurs responsabilités. Ils sont animés par un pur désir de satisfaction immédiate, restant ainsi des « ça » privés de surmoi. Ils ne vieillissent pas, ni ne gagnent en maturité, restant ainsi bloqués dans l’adolescence. Et Buffy, pour grandir, doit détruire encore et encore cette tentation de se réfugier à jamais dans l’égoïsme de l’enfance. À de multiples reprises, elle se retrouve aussi à lutter contre des figures traditionnelles d’autorité appartenant en fait aux forces du mal (comme ses enseignants ou le maire de la ville). L’impuissance ou la malignité de ceux qui sont censés la protéger et la réconforter lui apprend qu’elle ne peut, en fin de compte, compter que sur ses propres ressources, son bon sens et son courage, message émancipateur s’il en est.

Buffy apprend aussi le pardon, le compromis et la nuance, notamment en rencontrant des personnages ambigus, à mi-chemin entre le bien et le mal, comme Anya, le démon vengeur privé de ses pouvoirs, et Spike, le vampire rendu impuissant par une puce implantée dans son cerveau. Sans cesse confrontée à d’épineux dilemmes moraux, elle se voit contrainte par la force des choses de renoncer à sa vision enfantine et binaire du monde et de se construire un système de valeur singulier.

L’entrée dans l’âge adulte : violence, trahison et rédemption

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Si la série ne renonce jamais à sa dimension comique, les trois dernières saisons ont dans l’ensemble un ton plus noir, plus adulte à mesure que les situations se font plus explicites. L’adolescence s’achève brutalement dans la saison 5 alors que Buffy devient symboliquement mère en recevant une petite sœur, Dawn, qu’elle devra protéger. Dans l’épisode final de la saison, elle réalise son destin d’héroïne en se sacrifiant pour sauver le monde – et sa sœur. La mort devient l’ultime don de l’héroïne, qui rejoint ici les grands mythes tragiques. « Je suis là pour vous dire non, et pour mourir » dit Antigone à Créon dans la pièce éponyme d’Anouilh.

Bien sûr, dans le Buffyverse[2], rien, pas même la mort, n’est insurmontable et Buffy revient à la vie. Mais une fois de plus, le spectateur et les codes du genre sont pris à rebours. Loin de se réjouir de sa résurrection, Buffy, qui avait trouvé la paix dans le sommeil de la mort, souffre d’être revenue à la vie et à sa violence. On peut aussi noter une dimension chrétienne assez marquée ici, Buffy suivant un parcours christique (sacrifice/résurrection), subvertie par l’absence de joie qu’implique son retour.

La saison 6 explore alors les thèmes très adultes de la dépression, du masochisme et de la violence sexuelle, mais aussi de l’addiction et de l’aliénation à travers le personnage de Willow – qui devient une incarnation moderne de l’hybris grecque. Les amants et les amis se déchirent et s’affrontent, les jeunes adultes découvrent la difficulté d’être livrés à eux-mêmes. Plus de grands méchants, le danger vient désormais de l’intérieur du groupe. Bien que la série soit toujours très polarisée d’un point de vue moral, reposant sur un affrontement du « bien » et du « mal », sa grande force est de ne jamais devenir moralisatrice, en punissant ou déshumanisant les personnages ayant fauté. Au contraire, elle les dépeint comme trop humains, ne recherchant, au fond, que l’acceptation, et un amour inconditionnel susceptible de les sauver de leur solitude.

Bien que la série soit toujours très polarisée d’un point de vue moral, reposant sur un affrontement du « bien » et du « mal », sa grande force est de ne jamais devenir moralisatrice, en punissant ou déshumanisant les personnages ayant fauté

La saison 7, également, repose très fortement sur cette idée de pardon et de reconstruction, les personnages cherchant à retrouver leur équilibre, confrontés à un pouvoir qui les dépasse et qu’ils ne comprennent pas – le leur. L’ennemi principal de cette saison finale est immatériel, son pouvoir de nuisance ne s’exprimant qu’à travers sa force de persuasion. Il renvoie donc une fois de plus les protagonistes à leur propre faiblesse. La plupart des alliés de Buffy, à l’exception notable de Xander et de sa petite sœur Dawn, se sont  tous, à un moment ou un autre, rendus coupables de meurtre(s), parfois de sang-froid, parfois poussés par la colère, aveuglés par la passion, ou encore sous le coup de la folie. Et pourtant ils doivent travailler ensemble, pour éviter une fois de plus l’apocalypse. L’innocence des débuts est loin mais le combat n’est pas fini – donc il faut encore apprendre, encore grandir, et accepter des vérités difficiles sur les autres et sur soi-même.

Buffy, qui s’est, au cours des sept années passées, affirmée comme une véritable chef, s’imposant autant par son esprit brillant que par ses choix tactiques et son charisme naturel, s’interroge alors sur la nature de son pouvoir, son origine et sa signification. La conclusion à laquelle elle arrive est un véritable testament féministe pour une série ayant sans cesse remis en question les clichés de genre. Elle adresse aux spectatrices (les tueuses de vampires sont toujours des filles), la question suivante : « êtes-vous prêtes à être fortes ? ».

Ecrire pour Buffy : expérimenter, transgresser, repousser les limites du genre

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Buffy contre les vampires, avec son humour dévastateur, son mélange de gravité et de kitsch, ses épisodes quasi parfaits ou plus approximatifs, montre qu’il est possible d’expérimenter, de dépeindre la complexité du monde dans une série de fantasy pour adolescents, non pas en dépit de mais grâce à cet univers singulier et aux potentiels narratifs encore sous-estimés. La série a ainsi réussi à développer un langage propre dans ses dialogues, un mélange d’argot adolescent, d’allusions à la pop culture, d’expressions plus littéraires et d’une certaine liberté prise avec les règles de grammaire.

Certains épisodes constituent de véritables tours de force stylistiques. Hush[3], par exemple, au cours duquel les personnages perdent leur voix pendant les deux tiers du récit, mais aussi Restless[4], qui entraîne le spectateur dans les rêves des héros, multipliant les références symboliques et cryptées à leur évolution passée et future, The Body[5], qui sort de la métaphore pour décortiquer d’une manière brutalement réaliste les instants suivants immédiatement la mort d’un être cher, Superstar[6], qui réécrit entièrement l’histoire de la série en imposant un héros improbable, et Once more with feeling[7], l’épisode musical, dont les numéros vont puiser dans des inspirations aussi diverses que les dessins animés Disney, les comédies musicales hollywoodiennes des années 1950, la musique rock et West Side Story.

La série a ainsi réussi à développer un langage propre dans ses dialogues, un mélange d’argot adolescent, d’allusions à la pop culture, d’expressions plus littéraires et d’une certaine liberté prise avec les règles de grammaire.

S’éloignant des mécanismes narratifs habituels sans pour autant perdre leur cohérence avec le matériau initial, ces épisodes peuvent, pour certains d’entre eux, être vus indépendamment et garder leur force narrative et esthétique. La série s’est aussi appliquée à revisiter les classiques du genre de la fantasy, en les chargeant souvent d’un sens nouveau. Who are you[8]utilise ainsi le topos de l’échange de corps pour explorer la haine d’elle-même que ressent Faith, la tueuse de vampires dévoyée. Dans Tabula rasa[9], les personnages perdent la mémoire, recréant entre eux des liens surprenants et décalés, tandis que Normal again[10] suggère, en s’appuyant sur toutes les incohérences scénaristiques de la série, que Buffy n’est peut-être qu’une patiente dans un hôpital psychiatrique, s’abîmant dans un monde fantasmé.

Buffy fourmille aussi de références plus ou moins voilées à la culture classique et populaire anglo-saxonne. Shakespeare, surtout, est très présent, ce qui n’est guère étonnant lorsqu’on sait que Joss Whedon organisait des lectures de ses pièces chez lui avec les acteurs. On retrouve ainsi une Cordélia, qui partage avec son illustre homonyme une tendance à la franchise souvent problématique. Faith, au cours de la saison 3, se transforme en Lady Macbeth n’arrivant pas à effacer le sang maudit de ses vêtements. Il y a de multiples autres clins d’œil au Barde et même quelques citations directes essaimées dans les dialogues. Mais Shakespeare n’est pas le seul à s’inviter au détour d’un épisode, et il arrive que le scénario emprunte (parfois probablement à l’insu des auteurs eux-mêmes) des accents de tragédie classique.

Le dernier épisode de la saison 2, Becoming part 2[11]est un bon exemple. Buffy, expulsée de son école, recherchée par la police pour un crime qu’elle n’a pas commis, rejetée par sa mère qui ne la comprend plus et coupée de ses amis trop faibles pour l’aider, se retrouve seule face à celui qui l’a le plus fait souffrir et qu’elle a le plus aimé. Dans cette solitude absolue, elle trouve ses ressources en elle-même et vainc le démon qu’elle a en face d’elle – et par la même occasion son démon intérieur.

ANGELUS, après l’avoir désarmée et acculée : Plus d’armes plus d’amis, plus d’espoir. Qu’est-ce qu’il te reste une fois que tout cela t’a été arraché ?

BUFFY : Moi.

C’est dans le Médée de Corneille qu’on retrouve un dialogue étrangement similaire[12] :

NERINE – Votre pays vous hait, votre époux est sans foi / Dans un si grand revers, que vous reste-t-il ?

MEDEE – Moi. / Moi dis-je, et c’est assez.

On peut privilégier une interprétation plus philosophique des épisodes. Il est possible de comparer, par exemple, la morale presque kantienne de Buffy aux attitudes bien plus nietzschéenne de Faith.

On peut privilégier une interprétation plus philosophique des épisodes. Il est possible de comparer, par exemple, la morale presque kantienne de Buffy aux attitudes bien plus nietzschéennes de Faith. On peut aussi s’interroger sur la désacralisation de l’apocalypse que la série propose, car la fin du monde est tout les jours pour demain à Sunnydale, ou la tension permanente qui existe entre les conventions essentialistes de la fantasy (un vampire est mauvais parce qu’il est un vampire), et son discours presque existentialiste par moment (certains vampires peuvent devenir des héros, parce que leurs actions sont, de fait, héroïques). Les pistes de réflexion ouvertes sont bien trop nombreuses pour être évoquées toutes ici.

Le kitsch pour tenir un discours émancipateur

Buffy, en définitive, n’est pas seulement une série complexe, mêlant allégrement les genres et les références. C’est une série sur la complexité, la découverte progressive de cette complexité, derrière la fausse simplicité d’un monde apparemment divisé entre le bien et le mal, les gentils et les méchants, les séries de qualité et les séries pour adolescentes. « Je ne veux pas te protéger du monde », dit Buffy à sa petite sœur, « je veux te le faire découvrir[13] ». Les scénaristes adressent le même message au spectateur. C’est pour cela, autant que pour la merveilleuse richesse de son propos et pour ses indéniables qualités formelles, qu’il s’agit aujourd’hui d’une œuvre à part. Elle a ouvert le champ à une nouvelle génération de séries dramatiques plus ambitieuses, plus novatrices et évidemment, plus féministes.

Buffy a ouvert le champ à une nouvelle génération de séries dramatiques plus ambitieuses, plus novatrices et évidemment, plus féministes.

Quelques conseils tout de même pour le spectateur novice qui voudrait la découvrir : il y a généralement consensus sur le fait que la saison 1 est loin d’être la meilleure. Mieux vaut, donc, si on manque de patience, commencer par la deuxième. Il faut également garder à l’esprit que les épisodes, écrits par des scénaristes différents, sont tout au long de la série d’une qualité inégale. Enfin, cela reste avant tout une esthétique du kitsch. Mais c’est précisément dans le kitsch que les créateurs de Buffy trouvent la liberté nécessaire pour tenir un discours émancipateur sur le monde.

Bibliographie

  • Why Buffy matters, the art of Buffy the vampire slayer, Rhonda Wilcoxe
  • Slayage, journal académique en ligne des Buffystudies (http://www.whedonstudies.tv/slayage-the-journal-of-whedon-studies.html)
  • Buffy the vampire slayer and philosophy, fear and trembling in Sunnydale, ouvrage collectif dirigé par James B. South
  • Philoséries : Buffy, Tueuse de vampires, ouvrage collectif dirigé par Sylvie Allouche et Sandra Laugier.

Hélène Pierson

[1]teen comedy-drama

[2] L’univers de Buffy, aussi appelé Whedonverse

[3]Un silence de mort, saison 4 épisode 10

[4]Cauchemar, saison 4 épisode 22

[5]Orphelines, saison 5 épisode 16

[6] Superstar, saison 4 épisode 17

[7]Que le spectacle commence, saison 6 épisode 7

[8]Une revenante, part 2, saison 4 épisode 16

[9]Tabula rasa, saison 6 épisode 8

[10]A la dérive, saison 6 épisode 17

[11]Acathla, partie 2, saison 2 épisode 22

[12]Médée, acte I scène 5

[13]Grave/Toute la peine du monde partie 2, saison 6 épisode 22