Déployant une activité qui tient d’un apostolat farcesque, le plasticien fut «dézingué» par des critiques mâles pisse-froid qui virent dans l’œuvre de Perry une farce obscène et de mauvais goût. Néanmoins dans son pays elle est désormais reconnue. En France il reste beaucoup à faire et l’exposition de la Monnaie de Paris plante un coin.
Grayson Perry invente une imagerie «parfaite» afin que se déballent les bijoux (fussent-ils falsifiés) de famille. Il préfère l’outrance au réalisme et relève un grand défi : débarrasser le monde de sa misère par des «momicides» volontaires. Les couleurs suintent. Mais elles ne sont pas les seules.
Les images insolites et drôles affluent dans l’oeuvre de Perry, afin d’atténuer l’angoisse de la traversée des genres qu’il propose à son spectateur. Qui peut donc le taxer d’irréel ? Ce serait mépriser la vie de celui qui plonge en apnée dans la réalité tout en gardant un imaginaire propre à grimper aux rideaux la tête la première.
Méduses en pantalons
Perry sait que dans le mot “vénérer” il y a “Vénus”. A de telles sœurs factices et prémâchées, il préfère les Méduses en pantalons et les Gorgones dont les chevelures appellent d’autres modèles que celui de l’antiquité. Certes, l’artiste reste une maître d’Eros : par ses images les femmes sortent des songes du sommeil éternel que les “Adam” des religions et des politiques leurs imposent.
Avec son cortège de sirènes et des sphinges imprévues, les chambres à coucher de Perry ne sont plus seulement des chambres à dormir. Ainsi, Grayson Perry ne jette jamais l’éponge : au contraire, il se lie au vivant en modifiant les “natures” et leur pétrification. L’oeuvre suit son cours dans l’impeccable fatrasie de l’imaginaire décliné en assemblages et marqueteries faites de mille ladies ébouriffantes. Elles décoiffent (Reine Elizabeth comprise) en des outrages cathartiques.
Que les amateurs de pudibonderie passent outre de telles pérégrinations. Il y a chez Perry à la fois du Dorian Gray et du Stendhal (celui de De l’amour), mais moins de messes câlines que de Michaux à la mescaline. L’artiste en ce sens impose de nombreux défis à la masculinité traditionnelle. Ce qu’il développa il y a deux ans dans son livre The Descent of Man (2016), il le poursuit à La Monnaie de Paris, à la fois en décrivant les méfaits du mâle, mais en montrant tout autant combien l’identité masculine pourrait se modifier.
A Paris l’artiste continue à couvrir ses céramiques de dessins réalisés avec la technique du sgraffite, de textes manuscrits et de pochoirs, de transferts photographiques et d’émaux qui lui permettent de faire passer ses opinions
A Paris l’artiste continue à couvrir ses céramiques de dessins réalisés avec la technique du sgraffite, de textes manuscrits et de pochoirs, de transferts photographiques et d’émaux qui lui permettent de faire passer ses opinions. Il le fait tout autant avec ses tapisseries qu’avec des bronzes, si bien que chaque matière déborde de son caractère ornemental.
La statue comme la céramique entoure un corps iconoclaste fait d’éléments épars et joints. Mais aussi elle aspire. La matière n’étouffe pas : elle s’ouvre à tous les vents pour une présence ailée de l’être. Le mâle en son «splendide isolement» (ou sa retraite penaude) y est rejoint et dépassé. De fait, sous la farce, Grayson Perry appelle à ce que nous redevenions des êtres complets. Nous ne sommes plus à quatre pattes mais à quatre vents. A l’effet classique de masse fait place un espace polymorphe qui ne tient pas d’une liturgie magique mais d’une exaltation quasi carnavalesque. C’est le seul moyen de ne pas emporter sa maison natale comme une coquille avec soi. C’est le seul moyen aussi d’être libre. L’artiste l’a appris, il nous l’apprend.
- Grayson Perry, Musée de la Monnaie de Paris à partir du 19 octobre 2018.