“On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans” : encore moins dans le dernier ouvrage de Jacques Cauda, publié aux éditions Lamiroy, qui retrace le parcours de trois garçons et d’une fille livrés à eux-mêmes et à leurs désirs dans un petit appartement parisien. Ça se passe au milieu des années 70, au temps de l’amour, de la jeunesse et de la peinture.
Dans cet opuscule #20 des éditions Lamiroy, l’amour la jeunesse la peinture besognent comme une brute. À l’action : Vlad le narrateur escorté de ses complices lycéens Petit Muscle et Saucisson, convoyeurs d’un même autobus nommé Désir (« Ah l’autobus ! »), trio de bad boys de la Cité allant au lycée à Paris, un poil anarchiste, déjantés ou djeuns défoncés dans les années 70. Leur vie décalée dézingue les « petites boîtes » normatives dans lesquelles on voudrait les voir se ranger. Le destin (« Ah ! Le destin ! Le hasard ! Tel un coup de dés sur le grand tapis de la vie ») leur offriront par miracle une nuit faunesque chez la torride et excitante Sonia. « Immonde et magnifique » sera la Fête.L’érotisme peint la toile de cette embardée de débauche, mi- réaliste mi- hallucinatoire, où dentelle, sous-vêtements, bruits d’eaux, délires suggèrent vertigineusement le festin, nu. L’amour la jeunesse la peinture nous invitent au banquet dionysiaque des rêves orgiaques accomplis. Où la peinture sur toile de fond d’un art de vivre hédoniste n’est pas la moindre des présences, corpulente & savoureuse. La peinture prend le corps de la jeunesse de l’amour par le pal (palium), via un trio underground maniant le palium comme on brandit le désir en outil de travail, à la face et dans la farce du monde. Trois humains attablés à la table du festin, le désir dressé, le verre levé, face à des femmes peintes faites chair ou vice versa (vice versé) – « touche(s) appliquée(s) des cieux » – ; trois humains attablés à la table du festin et officiant, dans leur viande et leur sang, jusqu’à laisser, ébouriffée, la tête des ânes. Asinus erectus, Sancta simplicitas ! Sous l’œil complice et “surfiguratif” (dont l’auteur Jacques Cauda est le fondateur) du Gilles de Watteau, de Poussin, de Le Brun, Georges de La Tour, Vermeer, Bruegel.
L’amour la jeunesse la peinture est un tableau en cours d’exécution. Et c’est peu de l’écrire. Tableau imaginé par l’esprit ; exécuté par l’ouvrier-artisan. Narré par un Vlad narrateur signant certaines de ses œuvres révolutionnaires « d’un grand GARAVO ! GARAVO bombé à la peinture rouge sanguinolent. GARAVO ! Autrement dit : Groupe d’Action Révolutionnaire Anarcho-Vladien Ouvriériste ! Vlad, ce voïvode du XVème siècle, célèbre pour sa pratique du supplice du pal ! Un héros ! » Alias J.C., in cauda venenum ?
L’œuvre de Jacques Cauda constitue une formidable toile architecturale en trompes-l ’œil, qui nous envoûte le regard et l’oreille comme une musique baroque ou un tableau XVIIIème siècle
« Un héros ! Pour moi tout particulièrement qui me rêvais dans ma tenue de Gilles, trônant dans ma blancheur éclatante au milieu de la cour du lycée, et ordonnant sous les acclamations l’empalement de Madame la Directrice, livrée nue et ligotée tel un saucisson jusqu’à la taille afin de faire ressortir l’énormité de ses fesses spécialement sculptées par ces liens pour ce divin supplice ! » Veritas simplicitas, Sancte simplicitas, “profession de foi”¹ d’un Cauda-Ork²-Gilles³-peintrécrivain dont il faut gratter l’œuvre malicieuse pour en lire les somptueux passages secrets. L’œuvre de Jacques Cauda constitue une formidable toile architecturale en trompes-l ’œil, qui nous envoûte le regard et l’oreille comme une musique baroque, un tableau XVIIIème siècle, un chef d’œuvre inconnu ⁴ du XXIème siècle, et qui se dévoile au lecteur tout au plaisir de vouloir y aller voir. À bon entendeur…
Murielle Compère-Demarcy
- L’amour la jeunesse la peinture, Jacques Cauda, éditions Lamiroy, opuscule # 20 ; 2018, 39 p., 4 €
* ¹ Profession de foi, texte de Jacques Cauda publié dans Les Cahiers de Tinbad n°3 ; hiver 2017.
* ² Ork (« polar parodique du genre »), Jacques Cauda, La P’tite Hélène Éditions ; 2017.
* ³ « J’ai un temps vécu à la semblance du Gilles de Watteau à qui je voulais ressembler (…) », in L’amour la jeunesse la
peinture.
* ⁴ cf. Le chef-d’œuvre inconnu, Honoré de Balzac (1831).