Prix Nobel de littérature en 2003, John Maxwell Coetzee nous offre, avec Le Polonais son dernier roman, un récit bref, âpre, mais surprenant, questionnant les difficultés de communication et l’unilatéralité de l’amour, en jouant sur la polysémie de la notion d’interprète – le musicien comme le traducteur.
Un pianiste polonais au crépuscule de sa carrière, unanimement salué comme un des plus grands interprètes de Chopin, est invité à Barcelone pour un récital. La femme qui l’accueille, Beatriz, de plus de trente ans sa cadette, devient aussitôt l’objet de son affection et même de son amour. Le roman embrasse le point de vue de Beatriz, reprenant, un à un, tous ses questionnements, notamment celui qui la hante : pourquoi la désire-t-elle ? Lui le pianiste délicat et mondialement reconnu, alors qu’elle n’est qu’une femme comme une autre, ni plus brillante ni plus désirable que n’importe qui, mère de deux fils depuis longtemps devenus adultes qui ne se soucient plus tellement d’elle, épouse d’un homme avec qui elle ne partage plus grand-chose, ni intimité, ni complicité.
Évidemment, elle lui pose très vite cette question, et le grand pianiste polonais est incapable de répondre, sinon par des banalités ou des formules maladroites. Il faut dire que la communication entre les deux est difficile – c’est là une des réussites du roman. Le Polonais ne parle pas espagnol et son anglais est pauvre. L’Espagnole ne parle pas polonais et son anglais n’est pas assez subtil pour saisir les approximations de son interlocuteur. La parole est donc vaine. Entre eux, le silence même est intraduisible. Les deux personnages autour duquel le récit tourne exclusivement, à quelques exceptions près, ne parviennent pas à se comprendre. Coetzee rend la pauvreté de ces échanges avec une langue simple, des phrases courtes, des paroles heurtées, sans beaucoup d’ampleur ni d’envolées.
« Il lui prend la main et dépose un baiser sur sa joue. Il la remercie, en anglais, d’être venue. Il lui dit son plaisir de la revoir. Il la complimente sur sa robe. Ses compliments lui déplaisent. On dirait qu’il les a répétés avant. À moins qu’il ait du mal à avoir l’air naturel en anglais. Peut-être qu’en Pologne, c’est un monsieur tout à fait charmant. »
Chapitres saccadés, écrits...