Le langage est-il toujours l’évidence de l’être social et pensant ? Dans le recueil de poèmes Exercices du vertige, le silence s’impose avant même que les mots surgissent et l’écriture avance entre recherche de l’indicible et de la pensée fugueuse. Les ruptures syntaxiques, les blancs dans la mise en page, l’organisation du texte mettent chaque phrase au bord du précipice, du silence et de la récupération de soi. Une structure éclatée, des images abruptes et une parole qui s’exerce sans certitude dessinent un espace ; le langage ne s’y maîtrise pas, mais se subit et la parole s’écrit avant que le sujet n’en prenne la mesure.

Exercices du vertige suit en effet le parcours d’une voix qui tente de s’extraire du silence, prise dans un corps contraint et une langue qui l’écrase avant de la révéler. Le texte progresse par fragments, alternant immobilité et secousses, entre une parole empêchée et une prise de conscience qui advient malgré elle. D’abord, le silence s’impose comme une chape de plomb (« tu ne dis rien / c’est beaucoup trop »), étouffant jusqu’au corps : « poursuivre de l’apnée », « le diaphragme est musclé ». Peu à peu, le langage devient une matière hostile, un territoire d’injonctions familiales et sociales comme le prouvent les « voix de lignée de lignée » et les « voix des accomplissements sans tendresse », où se joue une lutte entre soumission et résistance : « si l’adolescent se tait dans le box des accusés, ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire, c’est parce qu’il refuse de parler cette langue-là ». Mais au fil du texte, le mutisme cède et ce qui paraissait épars s’assemble en un dévoilement brutal : l’écriture, en revenant sur ses propres traces, met à jour un trauma d’inceste que le sujet n’avait pas encore formulé consciemment. « En m’intéressant à la vulnérabilité présente dans les textes de mon corpus, j’avais fini par rencontrer la mienne et les traumatismes qui s’y logeaient ». L’écriture devient donc non seulement un lieu de résistance mais aussi un révélateur implacable de ce qui se joue dans l’être – l’ouvrage entier pose la question de cette possibilité.
La pensée est transcrite, mais l’acte d’écrire produit du savoir, met au jour ce que la conscience maintenait sous silence.
L’énonciation empêchée : le langage comme lieu de contrainte
Les phrases s’interrompent, les vers se brisent et la syntaxe se fragmente, ce qui fait de la parole est une surface de tension sans cohérence garantie. « poursuivre de l’apnée » donne une entrée immédiate dans un monde qui nécessite un effort commun de l’acte de respirer et de parler qui deviennent des performances sous contrainte ; le souffle est de fait compté, retenu et l’organisation du texte reflète cette difficulté à tenir la phrase, à organiser un discours qui ne soit pas une lutte. Le langage n’est pas seulement malmené, il devient un espace de contrôle. Des structures d’assignation imposent des cadres de parole que le texte dénonce explicitement. « voix de lignée de lignée », « voix des accomplissements sans tendresse » montrent que la prise de parole est d’abord un acte soumis à des hiérarchies. L’injonction à bien dire, à bien parler, encadre l’énonciation, empêche la sortie du langage normé. La parole institutionnelle impose ses règles et ses exclusions : « voix flambeaux étendards » décrit un langage qui impose une direction à suivre, une parole qui s’affirme comme seule légitime.
Mais le refus de cette assignation se manifeste dans l’écriture dans la mesure où la phrase se distord, s’interrompt et cherche à sortir des cadres fixés, pensés comme immobiles. « si l’adolescent se tait dans le box des accusés, ce n’est pas parce qu’il n’a rien à dire, c’est parce qu’il refuse de parler cette langue-là ». L’acte de ne pas dire devient un geste politique ; s...