Zone Critique se penche aujourd’hui sur l’oeuvre puissante et sauvage de Joseph Delteil, cet écrivain boudé par les bibliothèques et par les histoires littéraires. Du Montparnasse des années folles à la langue d’oc, d’André Breton à Jeanne d’Arc, retour sur la vie de l’auteur de Sur le Fleuve Amour et de La Deltheillerie.
Mort en 1978, oublié du grand public, Joseph Delteil n’est désormais vraiment lu que par une petite phalange de fervents et d’enthousiastes. Des critiques littéraires tels Alfred Eibel, Guy Darol ou Sarah Vajda ont dit leur admiration pour l’auteur de saint Don Juan et de Choléra, et un Dossier H, dirigé par Denitza Bancheva, lui a été consacré en 1998 aux éditions l’Age d’Homme. Plus récemment, un écrivain, Christian Dedet, qui fut l’un de ses proches amis, a publié deux tomes de ses journaux intimes des années 60 (1) où il évoque ce phénomène flamboyant de nos lettres françaises, cet énergumène poète qu’admirèrent et louèrent en leur temps, Pierre-Drieu la Rochelle, André Breton, Pierre-Mac Orlan, Henry Miller autant qu’Henry de Montherlant, Jacques Maritain, les dames du prix Femina et, dit-on, certains prélats lettrés de l’église romaine. Mais depuis une trentaine d’années, le grand Joseph Delteil a presque disparu des bibliothèques, et les histoires de la littérature, quand elles ne taisent pas son nom, ne lui accordent que quelques lignes, parfois condescendantes, évoquant seulement la vogue de Delteil au milieu des années 20 ou son bref compagnonnage avec le groupe surréaliste. Pourtant, aujourd’hui où notre vie littéraire semble traverser une période de basses eaux, où les monologues de dépressifs, les confessions vaines, les semi-plagiats et les petits romans actuels encombrent les rayons de nos librairies, la lecture de Joseph Delteil est une révélation. Enfin un écrivain vivant ! Enfin un style, un royaume, « une petite musique » ! Son œuvre n’est pas un cimetière, ni un désert, mais un jardin somptueux où se cultive des fruits devenus trop rares et dont nous avions parfois oublié le gout : Le lyrisme, l’épique, le mystique, l’érotique, le picaresque, le comique, la fantaisie débridée, un amour religieux et sensuel de la création, un panthéisme mêlé d’un christianisme naïf mais profond d’enfant de chœur paysan… Et l’on croise, dans ce jardin si fécond, des êtres qui ont été malheureusement chassés de nos romans contemporains : des héros, des saints, de vraies femmes, non des viragos hystériques ou de dépressives germanopratines, mais des amoureuses, des vierges et des guerrières ; un empereur hanté par l’Orient, un libertin repenti, des fols en christ, des soldats, des pâtres et des chevaliers, des bêtes, des insectes, des arbres, une nature encore enchantée et toujours habitée par le mystère et la joie… Cette œuvre convoque aussi les sens ainsi qu’à un banquet de satrape : on y hume, on y boit, on y mange, on y ripaille même. Et les éléments sont à la fête : orages, vents, pluies, soleils éclatants et torrides ! Cette œuvre est œuvre de grande santé. Pierre Drieu la Rochelle ne s’y trompait pas, en s’exclamant après la lecture de Choléra, deuxième roman de Delteil publié en 1923 : « Chauves, lisez Delteil, vos cheveux repousseront ! ».
Né la même année que Louis-Ferdinand Céline, le 20 avril 1894, à Villar-en-Val, dans l’Aude, Joseph Delteil est d’abord le fils d’un univers aujourd’hui disparu, d’un monde campagnard, forestier et paysan qui semble maintenant aussi lointain que la préhistoire et plus exotique que Zanzibar. Son père, Jean-Baptiste Delteil, est bouscassier, c’est-à-dire « homme du bois », à la fois bûcheron et charbonnier, sans doute aussi un peu braconnier. Ce paternel est pour le futur romancier, le grand initiateur aux mystères de la forêt, et un exemple de liberté sauvage : « Il ne rentrait presque jamais le soir à la maison, écrit Delteil, en plein bois il avait installé une hutte de branchage et de bruyères où parfois nous passions quelques jours (…) c’était un homme d’avant le péché, « un bon homme », c’était un juste. Non seulement il n’avait jamais fait le mal – bien qu’il volât quelques figues à l’occasion, le figuier étant un arbre indépendant, et à demi sauvage – mais il ne l’a jamais conçu ni imaginé » (2).
Sa mère, né Madeleine Sarda – de vieux sang sarde comme se plaisait à le répéter l’écrivain -, n’apprendra jamais à lire et ne prendra donc jamais connaissance des livres de son fils. Elle parle au jeune Delteil en langue d’oc, et lui transmet les légendes et les rites de ce vieux pays cathare – nous sommes dans la région de Carcassonne -, toujours jaloux de ses libertés. C’est une femme austère, religieuse, rigoureuse dans la vertu et le labeur. C’est une femme préhistorique, antique ou médiévale, étrangère aux mœurs modernes.
Une allure de barbarie
Ce monde de son enfance – « un monde quasi paléolithique » -, que la république-une-et-indivisible et la société industrielle n’avaient pas encore domestiqué, l’écrivain y restera toujours fidèle. Il sera la première source de son œuvre, et lui donnera certaines de ses qualités et de ses saveurs. L’art littéraire de Delteil n’empruntera jamais des chemins asphaltés, trop bien bornés par les codes et les étiquettes des gendelettres. Il ne pourra jamais complètement se civiliser, se guinder, s’apprêter. Il gardera toujours une allure de barbarie, un air de jacquerie et de sédition.
L’art littéraire de Delteil n’empruntera jamais des chemins asphaltés, trop bien bornés par les codes et les étiquettes des gendelettres
Dans un texte publié en 1976, deux ans avant sa mort, Delteil écrit ces phrases révélatrices d’une partie de sa personnalité et de cet enracinement fondamental : « Je ne me sens authentique, je ne me sens Delteil que paléolithique, avec dans mes veines le sang de mon premier primate. J’ai souvent chanté le patois, sa verdeur et ses pouvoirs. C’est que le patois est ma langue immémoriale, celle que j’ai entendu pour la première fois de mes oreilles inouïes, celle dans laquelle j’ai gazouillé les prémices de ma chanson et fondu mon premier embryon de pensée. C’est en paléolithique que j’ai abordé le langage, et tâté l’écriture. En vain la culture un moment a passé sur moi, fertilisant le granit sans le mordre. » (3)
Mais cette déclaration ne doit pas nous tromper. Joseph Delteil est certes enraciné dans cette Occitanie fière et farouche, et il aima toujours se présenter en sauvage insoumis, en « indien » rétif à la civilisation, en irréductible paléolithique. Mais le fils du bouscassier est un élève brillant et vite remarqué par ses maîtres. Il obtient le prix d’excellence en classe de cinquième et poursuit des études secondaires à l’école religieuse Saint-Stanislas de Carcassonne. Le jeune «sauvage » lit aussi beaucoup et écrit ses premiers vers, en langue d’oc puis en français. Il admire alors Hugo – qu’il nomme affectueusement « Victor » –, Lamartine, la grande poésie romantique du XIXème siècle, et, pour les contemporains, Maurice Barrés – dont l’influence le marquera durablement, et dont il goûte la langue riche, sensuelle et « coruscante » -, Pierre Loti, Joris-Karl Huysmans et le félibre Frédéric Mistral. Il avouera plus tard qu’il dévorait les livres « ainsi qu’un ogre les petits-enfants ». C’est là encore un trait propre à Delteil, cette voracité dans la connaissance, cette curiosité insatiable, cette soif d’embrasser totalement la vie, la vie des bois et « des bestioles » comme celle des littératures du passé et de son temps.
En 1914, après cette adolescence de lecteur passionné, la Première Guerre Mondiale trouve notre Joseph mobilisé dans le 4ème régiment colonial de Toulon, qui fusionne assez vite avec celui de tirailleurs sénégalais stationné à Saint-Raphaël dans le Var. Delteil y restera toute la guerre, échappant au massacre. Il appréciera la fréquentation des pittoresques africains, et s’employa sans doute à travailler son style futur, lors de longues journées d’oisiveté. A rebours de nombreux écrivains de sa génération, le futur auteur des poilus, ne connut pas l’expérience du feu et des orages d’acier. La grande boucherie européenne de 14-18 l’épargna heureusement…
Quelques années avant le conflit mondial le jeune Delteil a publié des sonnets dans des revues confidentielles de son Occitanie natale, et en août 1919, il a fait paraître un premier recueil de vers, Le cœur grec, qui obtint un prix de l’Académie française l’année suivante. Il était alors entré en relation amicale avec Henri de Régnier, et avait brièvement correspondu avec Paul Valéry.
Mais la révélation littéraire de Joseph Delteil se fit vraiment au début des années folles, exactement en 1922, où il publie Sur le Fleuve Amour, récit épique et désopilant des amours de deux officiers bolcheviques et d’une beauté sibérienne du nom de Ludmilla. Le jeune romancier brode sur le thème de la guerre civile russe, sujet brûlant encore les passions, avec une virtuosité époustouflante et un sens du comique absurde qui font résonner son livre avec le meilleur du cinéma burlesque. C’est aussi une œuvre érotique, violente et sauvage qui fait écho aux provocations dadaïstes. Le livre est accueilli avec enthousiasme. Valéry Larbaud donne une lecture du roman, une nuit, chez la libraire Adrienne Monnier, devant Léon Paul Fargue et Paul Valéry hilares. Le jeune Aragon, ébloui, écrit à Joseph Delteil pour lui dire son admiration et fraterniser avec lui. Paul Claudel est scandalisé par « le pornographe », mais Pierre-Mac Orlan, André Salmon, Max Jacob et le groupe surréaliste applaudissent le jeune génie occitan.
Ecrivain avant-gardiste
En 1923, la publication de Choléra, intronise encore davantage Joseph Delteil parmi la jeune génération d’écrivains avant-gardistes. Roman d’amours atypiques, Choléra viole la plupart des codes littéraires de l’époque. Il gifle le bon goût et trouble les genres en passant du sublime au grossier, de l’érotique au mystique, hésitant entre le romanesque, la farce et le poétique. C’est un objet littéraire non identifié qui à la beauté barbare d’une charge de Huns. Drieu La Rochelle publie alors dans La Nouvelle Revue Française, un article marquant son admiration « Quelle chance d’être contemporain de ce drôle de corps écrit le futur auteur du Feu-follet, on ne peut plus douter de rien. A la vérité, le doute n’a jamais été mon faible, mais quand j’affirme, quand j’opine, quand j’enfonce le clou, je n’ai pas envie de me transfixer la main de ce clou-là, je préfère la garder libre pour mieux en enfoncer d’autres ; Delteil me donne du cœur pour taper sur tous les clous (…) La lecture de ce livre me fait voir tout en beau (…) Quelle joie, quelle liberté chez ce Delteil ! Chauves, lisez Delteil, vos cheveux repousseront ! »
Le jeune écrivain, qui n’a pas trente ans, et qui est un Parisien d’adoption récente – il habite la capitale depuis 1920 – se trouve désormais au cœur de la vie littéraire de son époque
Le jeune écrivain, qui n’a pas trente ans, et qui est un Parisien d’adoption récente – il habite la capitale depuis 1920 – se trouve désormais au cœur de la vie littéraire de son époque. Compagnon de route des surréalistes, il participe aux séances d’écriture automatique et aux procès parodiques organisés par le groupe. Il est signataire du tract provocateur Un cadavre publié à la mort d’Anatole France en 1924, et tient une rubrique sur l’amour dans La Révolution Surréaliste. Il mène aussi à Montparnasse la vie trépidante de la bohème de ce temps. Il goûte aux femmes du monde et du demi-monde, gagne beaucoup d’argent afin de le dilapider somptueusement, découvre le cinéma, le music-hall, la peinture cubiste, le jazz-hot. Il se lie d’amitié avec le couple de peintres Robert et Sonia Delaunay, avec Marc Chagall, fréquente Francis Picabia, croise Jean Cocteau, Paul Morand, Henry de Montherlant, plus tard, au milieu des années 30, Louis-Ferdinand Céline et Henry Miller … Delteil vit pleinement cet âge d’or où « tout bouge, fermente, explose », où « des bandes de phénomènes, affamés de beauté, fous de génie, fourmillent, palabrent, vocifèrent ». En 1925, le fils du bouscassier rencontre celle qui deviendra sa future épouse, Caroline Dudley. Fille de la grande bourgeoisie américaine, femme de théâtre, maîtresse de plusieurs écrivains dont John Dos Passos et peut-être d’Ernst Hemingway, elle fut l’introductrice en France de la Revue Nègre. Ce personnage romanesque restera la compagne fidèle de Joseph Delteil, sa muse, son amante et sa meilleure amie.
Au long de ces années folles, Delteil ne cesse pas d’écrire, de publier romans, nouvelles, essais littéraire et scénarios. Certains critiqueront son omniprésence sur les tables des librairies et dans les pages des revues, et une œuvre parfois inégale. Entre 1922 et 1937, il publie en effet une trentaine d’ouvrages. Mais comment lui reprocher une telle fécondité, car chacun d’entre eux recèlent des trésors et des occasions d’ivresse.
Un chef d’œuvre de cette première période faste mérite pourtant qu’on s’y arrête particulièrement, car c’est dans ses pages que l’écrivain a déployé l’une des meilleures parts de son talent : Jeanne d’Arc, libre biographie de la sainte publié en 1925. Dans ce livre, celui qui est alors toujours considéré comme un compagnon du mouvement surréaliste, affirme vraiment une irréductible originalité. Son style, son attrait pour les héros, son catholicisme irrégulier et une certaine naïveté d’enlumineur médiéval, l’éloigne autant de l’académisme que des nouveaux dogmes de l’avant-garde. André Breton adresse à Delteil une lettre d’insulte dès la parution de l’ouvrage. Il ne supporte pas qu’on puisse librement évoquer une sainte, sans blasphémer, et en manifestant même une certaine piété religieuse. Le grand inquisiteur prend parfois le masque d’un athée anarchiste et d’un chantre de l’amour fou. Les catholiques bien-pensants, eux, n’accueillent pas pour autant Delteil comme un fils prodigue. Jean Guiraud, le directeur de La Croix, publie un pamphlet dénonçant le mauvais livre. Cette Jeanne d’Arc est sans doute trop vivante aux yeux du chaste journaliste, et n’a pas la fadeur propre à édifier les jeunes filles de la bourgeoisie. C’est au contraire une jolie lorraine rougeaude aux jambes vigoureuses et à la poitrine généreuse. C’est une belle santé qui prie Jésus mais engueule vertement ses soldats et connait les tentations de l’amour et du doute. Ce n’est pas une icône sulpicienne. Jacques Maritain et Paul Claudel, revenu de sa défiance pour « l’érotomane », défendent pourtant le livre et les dames du Femina, bien inspirées, lui décernent leur prix annuel. Cette Jeanne d’Arc, qui est l’un des sommets de l’œuvre de Delteil, déchaîne les passions telle une nouvelle bataille d’Hernani. A la suite de ce livre, Delteil consacrera d’autres essais biographiques à des personnages historiques, auxquels il redonne vie par sa langue et son génie poétique. Citons parmi elles Lafayette en 1928, Il était une fois Napoléon en 1929, et un Henri IV amoureux, Le Vert Galant, en 1931. Si l’Histoire officielle transforme les héros et les rois en froides statues, les biographies delteilliennes sont toujours des résurrections.
« Je chante les vieux sentiments, la chair, l’honneur, le naïf bons sens, la sagesse, le cœur, les ruisseaux sur la mousse, le cosmos, le silence, tout ce qui est vierge, naturel, paléolithique. » (4)
Cet extrait de La Deltheillerie, livre autobiographique et testamentaire paru en 1968, pourrait servir d’exergue à la seconde partie de la vie de l’écrivain. En 1937, à cause d’une maladie où il manque de perdre la vie, et aussi certainement par lassitude de la vie parisienne et nostalgie de ses racines paysannes, il quitte la capitale et rompt avec le milieu littéraire. Avec sa femme, il devient propriétaire de La Tuilerie de Massagne, un petit domaine aux abords de Montpellier, et de soixante mille pieds de vignes. Delteil y vivra désormais jusqu’à sa mort en 1978. Celui qui fut une étoile de la littérature des années 20 et un écrivain profus, va désormais retrouver une vie paysanne qu’il n’abandonnera jamais complètement. Il ne publiera que rarement, mais des livres qui sont à chaque fois des manifestes delteilliens. Ainsi, en 1947, après un silence de dix ans, parait Jésus II, une sorte de pseudo-évangile où il lance à l’assaut du monde moderne, un christ fol et révolutionnaire qui prêche la révolte contre l’âge atomique. En 1960, c’est un François d’Assise qui le révèle à un nouveau public. Son poverello est un anarchiste chrétien plaidant pour la Sainte Pauvreté et l’ascèse libératrice, un saint pour les écolos et les nudistes. On devrait d’ailleurs aujourd’hui en recommander la lecture aux rédacteurs de La Décroissance. Ils y découvraient sans doute la joie de vivre, une joie qui ne serait plus seulement un slogan, une promesse de réunion associative et de goûter bio mais une joie vraiment insurrectionnelle et religieuse, une communion authentique…
Le dernier Delteil
Le dernier Delteil affirme ainsi davantage son paléolithisme et une sensibilité écologiste, archaïsante et anti-industrielle. Il reste un écrivain, un poète, un amant des mots, bien sûr, et il serait absurde de voir désormais en lui un théoricien. Delteil n’est pas un intellectuel, mais l’on sent, dans certains de ses derniers textes, poindre la révolte de son sang et de son âme paysanne devant la grande mue des années 60. Il n’est décidément pas un homme moderne, et ne peut accepter ce nouveau monde d’autoroutes, de supermarchés et d’urbanisation intensive, dont les bureaucrates gaullistes et pompidoliens sont les zélés promoteurs. Delteil, s’il n’est jamais militant, appelle donc souvent à la rupture et à la sédition contre les idoles de l’Industrie et de la Production : « Le Progrès aujourd’hui a sa garde de gorilles, sa Terreur, écrit-il alors ; Terreur, publicité et mystification. Qui nous exorcisera de cette fantasmagorie ? Il faut rompre le charme. Et dire ingénument, simplement : moi je suis contre ; les vraies valeurs, moi je les ai dans ma poche. »(5)
Delteil est aujourd’hui trop délaissé. Son œuvre est pourtant une source vive où l’on peut retremper son âme, ragaillardir ses instincts, retrouver joie et belle santé
Joseph Delteil plaide pour une révolution en profondeur des structures de la société moderne. Dans un livre écrit au début des années 70, il a cette vision d’un monde post-industriel, que ne renieraient pas les écologistes les plus radicaux :
« Je vois – c’est une vraie vision – la fin de l’industrie, la fin de l’Histoire. Je vois éclore un à un une cabane de bruyère par-ci, une hutte sur pilotis par- là, une tente, une grotte, une oasis, une ile – un homme, quoi ! – chacun étrangement tranquille, laissant pisser le mérinos, voire « le combinat »et l’atome, en quête seulement d’un peu de mousse, d’un rayon de soleil, en quête de la « vraie vie » : le loisir, la liberté, la pensée… tout cela d’abord insolite et fragile, puis proliférant à vue d’œil, de plus en plus dense, de plus en plus fertile, par tribus entières, phalanstères, kibboutzim, arches, ashram, maquis…jusqu’à coiffer un beau jour toute la société officielle… la technique du foisonnement, quoi ! La dissémination, la diaspora, le mycélium… une panspermie… (6)
Delteil est aujourd’hui trop délaissé. Son œuvre est pourtant une source vive où l’on peut retremper son âme, ragaillardir ses instincts, retrouver joie et belle santé. Elle peut aussi inspirer une féconde révolte contre ce monde vétuste et sans joie. Delteil est de ces rares écrivains que l’on relit avec une curiosité toujours aiguisé, car ses livres restent vifs et aussi neufs que s’ils venaient de paraître. Delteil n’a pris aucunes rides, il reste vert, il ne succombe pas aux patines du temps. Delteil est en cela l’un de nos plus chers vivants, et un éveilleur essentiel.
Notes :
- 1) Voir Christian Dedet, Une sacrée Jeunesse, Sacrée Jeunesse : Chronique des « sixties », journal, Editions de Paris/Max Chaleil 2003, et L’Abondance et le rêve. Journal 1963-1966, Editions de Paris/Max Chaleil, 2014
- 2) La Deltheillerie, Grasset, 1968.
- 3) Le sacré Corps, Grasset, 1976.
- 4) La Deltheillerie, Grasset, 1968
- 5) Le Sacré Corps, Grasset, 1976.
- 6) Le sacré Corps, Grasset, 1976.
Bibliographie
Les œuvres de Delteil sont disponibles aux éditions Grasset dans la collection Les Cahiers rouges.
Sur Joseph Delteil :
- André de Richaud, Vie de saint Delteil, Paris, La Nouvelle Société d’Édition, 1928.
- Delteil est au ciel !, Alfred Eibel Éditeur, 1979.
- Dossier H Joseph Delteil, L’Age d’Homme, 1998.
- Guy Darol, Joseph Delteil brille pour tout le monde, Samuel Tastet éditeur, 2006.
- Site internet consacré à Joseph Delteil : http://josephdelteil.net/
Olivier François (Article paru dans le numéro 154 de la revue Eléments )