Dans son bouleversant récit Triste Tigre, publié l’année dernière et couronné par le prix Femina, Neige Sinno écrivait, au sujet des viols répétés qu’elle subissait enfant : « La littérature ne m’a pas sauvé. Je ne suis pas sauvée ». Neige Sinno abordait ainsi frontalement la question du rôle de la littérature face au mal.
Cette question hante la littérature contemporaine, qui s ’empare massivement du thème des violences sexuelles.
Dans l’incandescent Tout brûler de Lucile de Pesloüan, paru en août aux éditions La Ville Brûle, Stella, la narratrice, retrace ainsi les abus dont elle a été victime, et qui se sont inscrits dans sa chair et dans son âme : « Je suis le mal… Ma mère répète que je suis méchante à tout âge. Je ne sais plus si c’est vrai, à force. » Le récit, qui raconte une identité détruite par l’inceste, exprime ici un besoin profond de réparation et de justice : « Je veux seulement du juste. » nous dit encore l’autrice.
Face aux violences sexuelles, plusieurs autrices, de Chloé Savoie-Bernard à Caroline Ducey, convoquent le concept de sororité comme chemin de guérison. Pour Marie Rouzin dans 13 âges de la vie d’une femme, la sororité devient « un acte de résistance et de solidarité, un espace où les douleurs et les violences subies sont enfin nommées et entendues. » (Diana Carneiro)
Néanmoins, si la sororité peut effectivement apporter une réparation individuelle, comment lutter concrètement contre l’impunité de certains coupables, que la justice ne condamne pas, et que l’entourage familial n’ose pas dénoncer ? « Ils savaient, ils n’ont rien fait, rien dit… Vous, qui avez envoyé vos filles en vacances chez lui tous les étés. », nous murmure à voix basse Lucile de Pesloüan. Ainsi, selon le dernier rapport de l’Institut des Politiques Publiques, seuls 2 % des agresseurs sont condamnés à de la prison ferme.
Pour Mathilde Morrigan, la réponse est simple : la vengeance. Lorsque les institutions ne remplissent pas leurs fonctions punitives, les femmes doivent se faire justice elles-mêmes. Ainsi, pour Mathilde Morrigan, la vengeance, si elle n’est pas gratuite, « ouvre la porte de la guérison » et de l’émancipation pour les femmes victimes d’agression sexuelle.
Si l’essai de Mathilde Morrigan a le mérite de poser la question du pouvoir d’action d’une victime face à l’inaction de la justice, sa réponse peut aussi sembler problématique et discutable. Une vengeance juste et libératrice peut-elle vraiment exister ? Celle-ci ne place-t-elle pas la victime en position d’agresseur ? Le système juridique ne vise-t-il pas précisément à nous émanciper de la spirale infernale de la loi du talion ?
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Sébastien Reynaud
Cofondateur de Zone Critique