Le Musée du Luxembourg accueille jusqu’au 26 Janvier, une exposition exceptionnelle réunissant plus de 70 oeuvres Renaissance venant de collections privées comme publiques, d’artistes italiens comme flamands afin d’avoir une vision presque exhaustive de la manière dont on interprétait le rêve avant Freud.
Lorsqu’on nous parle d’interprétation des rêves, Freud et sa psychanalyse sont les premiers concepts venant à l’esprit. Cependant, c’est oublier que la littérature, les débats théologiques et médicaux ainsi que l’art ont eu, du XIVe au XVIIe siècle, à se confronter aux songes, à leur représentation, leur interprétation. Les commissaires Alessandro Cecchi, Yves Hersant et Chiara Rabbi-Bernard ont alors pris le parti de réhabiliter ce que l’on appelle aujourd’hui “l’ancien régime du rêve” en présentant au public un ensemble cohérent d’oeuvres d’artistes de la renaissance qui ont tenté de peindre les songes.
On sait que pour Freud, le rêve est un accomplissement de l’inconscient, d’un désir, et une fois interprété, il devient le moyen de comprendre la névrose du sujet. Les débats de la Renaissance en arrivaient à une conclusion, beaucoup plus absurde et magique: le sommeil par ses songes nous met en relation avec les puissances de l’au-delà. Ainsi, le rêve paraît être insaisissable concrètement et dans son entier. C’est donc un véritable défi pour l’art que de vouloir représenter le songe. On peut peindre un rêveur, mais y faire figurer son rêve est une chose toute autre. Ils doivent rendre réel quelque chose qui n’a dès l’origine rien de concret, quelque chose qui ne se représente pas ou si c’est le cas uniquement dans le cerveau inconscient d’un sujet. Leur tâche est alors de faire figurer ce qui est hors de portée, ajoutant une difficulté supplémentaire à leur volonté originaire de rapporter le plus fidèlement possible les choses que l’ont voit. Leon Battista Alberti le disait ainsi “la peinture s’applique à représenter les choses vues“.
Il est donc excitant de voir comment les grands maîtres de la Renaissance ont tenté de relever le défi. C’est à dire de transgresser les règles “académiques” de l’art consistant à représenter uniquement les choses tirées de la nature. Pour présenter ces oeuvres, la scénographie adoptée par les commissaires est plus que pertinente. En nous les exposant logiquement et chronologiquement, débutant par la tombée de la nuit, finissant par l’aurore, on suit alors les phases du sommeil de tout dormeur. D’abord la nuit comme la vacance de l’âme pour reprendre les termes de Marsile Ficin, où le rêve nous fait plonger dans un monde allégorique. Jusqu’à ce que l’on ait une vision de l’au-delà, c’est à dire l’ouverture à un autre soi que l’on ne peut rejoindre que par l’intermédiaire du rêve. Ou encore des visions cauchemardesques, où le rêveur n’est pas représenté, laissant place à un monde entièrement onirique. Ou au contraire lorsque le sujet rêvant se voit lui même dans des expériences fantastiques. Jusqu’au réveil où il quitte progressivement le monde imaginaire pour ressurgir dans celui bel et bien réel.
Aucune phase et aucun type de rêve n’est laissé de côté par ces artistes Renaissance. Un échantillon plus que représentatif nous est présenté dans le cadre de cette exposition. Malgré l’absence de certaines oeuvres clés qui n’ont pu être prêtées, elle ne perd rien de sa cohérence nous laissant le loisir de se rendre compte des disparités d’interprétation et de figuration entre les peintres flamands (Bosch) et les peintres italiens (Véronèse). Une documentation fournie (presque trop) permet de comprendre chaque oeuvre, sa signification, son interprétation du rêve, sa symbolique. On ne peut formuler qu’un seul reproche à cette exposition, si cela en est un, celui d’être trop complet, trop complexe, trop sérieux mais livrant une importante matière à réflexion.
Cassandre Morelle