Vingt-deux ans après avoir consacré un film marquant au serial killer Roberto Succo, Cédric Kahn se penche sur un autre figure criminelle : Pierre Goldman, accusé d’avoir assassiné deux femmes. Pour ce faire, il reconstitue le procès en appel de cette affaire retentissante. Coupable, pas coupable ? Sans trancher, Cédric Kahn livre un film dense, haletant et maîtrisé.
Depuis la fin de l’été, le nom de Goldman est sur toutes les lèvres : consacré par l’historien Ivan Jablonka, dans une biographie éponyme, le visage de celui qui chantait “À nos actes manqués” a envahi les couvertures de journaux. Cédric Kahn, lui, s’intéresse à une face plus sombre de la famille Goldman : Pierre. Il a aussi marqué l’actualité dans les années 1970 mais pour des actes criminels.
En effet, au printemps 1970, Pierre Goldman (incarné par le charismatique et ténébreux Arieh Worthalter) est inculpé pour trois braquages et le meurtre de deux pharmaciennes, exécutées dans leur officine au boulevard Richard Lenoir, à Paris. S’il reconnaît les larcins, il nie en revanche les meurtres – crimes qui pourraient lui valoir la peine capitale. Digne d’un roman d’André Malraux, ce flambeur a tout contre lui : un passé révolutionnaire en Amérique du Sud, des amis noirs, une certaine insolence, et une propension à insulter la police et les institutions. Pourtant, l’opinion public a pris parti en sa faveur : en prison, il écrit un best-seller, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, et reçoit le soutien de nombreuses célébrités, telles que Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre ou Simone Signoret. Après un premier procès où il est condamné à perpétuité, la cour de cassation casse ce verdict le 20 novembre 1975. Au mois de mai 1976, a lieu le second procès de celui qui, à 31 ans, fait figure d’idole de la gauche française.
Le Procès Goldman fait aussi le tableau d’une époque traversées par ces figures fulgurantes de révoltés
C’est ce second acte que Cédric Kahn reconstitue. Si l’intérêt du public reste si grand, c’est bien que la figure de Pierre Goldman intrigue. Néanmoins, le cinéaste ne fait pas le choix du biopic. Il positionne son héros dans une arène où se croisent Arthur Harari, qui campe avec justesse George Kiejman, un avocat fiévreux et usant de toutes les ressources du métier, Nicolas Briançon dans le parti adverse, excédé par le charisme de Pierre Goldman, et Stéphan Guérin-Tillié, en juge impénétrable. Dans ce théâtre juridique, c’est la parole qui nourrit la joute et un suspens maîtrisé. Les témoins se succèdent à la barre et leurs récits croisés viennent constituer la matière du récit. On y dresse en creux le portrait de l’accusé, celui d’un homme complexe, juif, fils de résistants polonais, intellectuel et qui, comme un certain nombre de personnes de cette décennie, a l’impression que la révolution est à portée de main – un enfant du siècle, donc. Le Procès Goldman fait donc aussi le tableau d’une époque traversées par ces figures fulgurantes de révoltés – si aujourd’hui ce temps peut paraître lointain, le discours de Goldman, qui dénonce le racisme institutionnel de la police, trouve une chambre d’écho dans l’actualité.
Huis clos
Ce dispositif théâtral qui se déroule hic et nunc rapproche davantage le film de Douze hommes en colère de Sidney Lumet que de Saint-Omer d’Alice Diop. Le film prend place exclusivement entre les quatre murs étroits et étouffants d’un tribunal – dispositif tout aussi génial que limitant. En ce sens, le réalisateur reproduit avec brio le déroulé du procès : il se déleste de potentiels flash-back, de musique ou d’inutiles fioritures visuelles. Ce jeu mimétique, soutenu par un grain vintage et un format en 1:33, a pour effet de placer le spectateur dans le rôle du juré et de ménager un suspens exaltant. Face à lui, les témoins, filmés en gros plans, se succèdent à la barre, toisent Pierre Goldman, le jugent et hésitent. Se souviennent-ils vraiment de ce qu’ils ont vu ?
Le spectateur se glisse dans la salle, devient alors un juré de plus, un visage parmi les autres et lui aussi, doute. Alors que l’image rassure, la parole, par essence instable et fragile, laisse la place à l’incertitude, à la défiance, à l’hésitation. En faisant le choix d’un huis clos, tout aussi carré que son format, Cédric Kahn propose de faire l’expérience du doute. Il ne tranche pas à l’issue de ce procès sur la culpabilité de Goldman. Si ce dernier est libéré après une plaidoirie vibrante d’Arthur Harari, il n’en est pas pour autant totalement blanchi. Quatre ans après sa libération, Pierre Goldman est assassiné par un gang mystérieux. L’affaire ne sera jamais vraiment élucidée. Sa figure reste donc associée au doute. C’est ce mystère qui travaille le film de Kahn et qui continue, quarante ans plus tard, à fasciner.
Le Procès Goldman, un film de Cédric Kahn, avec Arieh Worthalter, Arthur Harari. En salles le 27 septembre.