Il y a deux ans s’éteignait l’un des plus formidables écrivains suisses, dans une forme d’indifférence médiatique , Georges Haldas. Il est temps aujourd’hui pour Zone Critique d’exhumer cette fantastique figure littéraire du siècle passé, et d’ainsi, après Albert Caraco et Georg Trakl, de continuer notre galerie des écrivains trop injustement ignorés.
Trop méconnu en France malgré les efforts des éditions de l’age d’homme et d’une petite phalange de lecteurs fervents, Georges Haldas n’était pas un littérateur. Aussi éloigné des modes et des avants gardes-officielles que des réalismes morbides ou complaisants l’écrivain suisse cherchait à traquer dans la chair du monde ce qui le fonde, quelles lumières d’éternité éclairent les vies des plus communes humanités et quelles traces essentielles laissent nos peines et nos joies.
L’écrivain suisse cherchait à traquer dans la chair du monde ce qui le fonde
Poèmes, chroniques, confessions autobiographiques (la confession d’une graine publiée à partir de 1984), carnets (sous le titre « l’état de poésie »), essais de critique littéraire ou méditations spirituelles, l’œuvre ample et généreuse de Georges Haldas est animée d’une rare qualité de communion avec les étres et les choses, d’un constant désir de s’attacher au réel parfois le plus prosaïque pour en révéler le sens ou en écouter les vibrations mystérieuses. Elle est sœur par cette intensité d’attention de certaines pages de Vassili Rozanov ou de Thomas Wolfe. Sous le regard aiguë et fraternel du « scribe » (ainsi se désigne souvent l’auteur dans ses chroniques) la vie des hommes se manifeste en sa poignante profondeur, éternelle énigme dans le lit du quotidien.
C’est certainement le livre des passions et des heures, sublime chronique de la vie d’un café de Genève, qui est l’ouvrage le plus inspiré de Georges Haldas et son œuvre la plus directement évidente. Il a su y transfigurer les existences de nos prochains les plus obscures, des compagnons de comptoirs aux vielles femmes des matins tristes. Dans ce véridique rapport sur les joies et les misères de l’humaine condition la voix et le regard du narrateur viennent parfaitement nous hanter: Le repas du petit bourgeois brisé, usé par les servitudes d’une vie vétuste et sans joie, l’attente inquiète et fébrile de la femme adultère, la concentration du patron Kabyle attaché à son petit établissement comme un soldat héroïque et désespéré ; toutes ces humbles vies sont révélées et par la vision si singulière d’Haldas elles se muent en vies de saints et de héros, et le zinc en un lieu d’affrontement du bien et du mal ou se croisent l’apôtre et le démon, le démon de petite envergure ou « le grand serpent », l’éternel tentateur.
Chroniqueur habité du mystère des destinées humaines, Georges Haldas fut aussi un formidable passeur de littérature. Outre des traductions de Catulle, Anacréon et du poète italien Umberto Saba, nous lui devons de merveilleuses et fraternelles préfaces aux classiques de la littérature russe et espagnole. Enfin, animé d’une foi très personnelle, ce fils d’un grec orthodoxe et d’une protestante, converti un temps au catholicisme par son mariage et sa fréquentation du cardinal Journet, se pencha vers la fin de sa vie sur les figures du nouveau Testament et des mythes fondateurs de nos civilisations . On lira ainsi avec passion son Marie de Magdala et sa méditation sur Socrate et le Christ.
Georges Haldas appartenait à une race d’écrivains en voie de disparition, qui a pour son art la passion brûlante d’un amant
Georges Haldas appartenait à une race d’écrivains en voie de disparition, celle dont l’inspiration répond à une nécessité spirituelle ou métaphysique, qui a pour son art la passion brûlante d’un amant et comme il le confiait dans sa confession d’une graine, soumet sa vie a sa vocation de « scribe de l’essentiel » qui tente « d’insérer le fil d’or de l’éternité dans le tricot du temps ».
Olivier François