Retrouvez désormais chaque mois sur Zone Critique la «carte blanche» du romancierClément Bénech. Une chronique consacrée ce mois-ci au syndrome de Stockholm en littérature.
En 1973, à Stockholm, des braqueurs à la petite semaine vont se retrouver contraints de prendre des otages pour sauver leur peau. Envers eux, ils se montrent violents et insultants (n’oublions pas que ce sont des malfrats). Qu’à cela ne tienne : lorsque les secours arrivent, les otages sont très peu coopératifs et en viennent presque à accuser la police de ce léger empêchement.
Suite à la libération des otages, ceux-ci ont développé à l’égard de leurs ravisseurs une sympathie proche de l’amour qui en amènera certains à leur rendre visite en prison. Ce beau paradoxe ayant été observé en plusieurs occasions depuis, il a gardé le nom de syndrome de Stockholm.
Or (puisque je dois faire ici ouvrage de littérature et non pas de psychologie pénitentiaire) l’histoire littéraire, le poids de nos lectures et l’horizon d’attente nous sont parfois ces preneurs d’otages pour lesquels nous concevons de l’affection.
Je m’étonne toujours de ceci que tous les écrivains n’ont pas pour ambition de rembobiner l’histoire littéraire
Je m’étonne toujours de ceci que tous les écrivains n’ont pas pour ambition de rembobiner l’histoire littéraire, à chaque livre, pour essayer d’écrire le premier livre. On comprend que Chevillard partage ce désir, lui dont les livres ne ressemblent à rien de connu. Il est tout de même surprenant, l’écriture étant l’expression la plus forte d’une individualité, que l’on retrouve dans bien des livres la même structure héréditaire – sans même parler des clich és littéraires.
C’est donc que nous aimons notre camisole et scions la branche sur laquelle nous sommes assis, puisque nous accomplissons souvent, en écrivant, un tel pas de deux : affirmer notre personnalité par le fait même d’écrire, et la saper simultanément en nous coulant dans le récit collectif.
(Ne parlons pas de ceux qui craignent de choquer leur lecteur, de le perdre, de lui déplaire, c’est prendre le roman pour une croisière quand il doit être un train-fantôme.)