L’effondrement, le dernier récit d’Édouard Louis, n’est pas anodin pour l’écrivain, habitué à traiter de sujets en lien avec sa famille. Son projet romanesque autour des Bellegueule, qu’il est possible de considérer comme une « anthologie de la fuite », se finalise ici par le récit de la vie et donc « l’effondrement » de son frère aîné. Pour l’écrivain, il n’y a pas d’autobiographie s’il n’est pas question d’une histoire personnelle. Il faut écrire quelque chose de risqué, de difficile, « quelque chose que le monde voudrait vous empêcher de raconter. » Édouard Louis écrit pour tenter de répondre aux diverses questions qu’il a pu se poser à la suite de la disparition de son frère : comment peut-on mourir à trente-huit ans ? Quelles sont les causes, les raisons qui entraînent un être à se détruire ainsi, à petit feu ?
À première vue, ce récit pourrait être ramené aux déterminismes sociologiques qu’Édouard Louis évoque à maintes reprises dans ses œuvres. Ce frère serait un corps entièrement sociologique, détruit par son environnement qui a fait de lui une personne surdéterminée socialement… Néanmoins, il n’en est rien : pour l’écrivain, ce frère a simplement eu des rêves immenses, qui dépassaient largement le conditionnement social dans lequel il se trouvait. Ces rêves ont pourtant un aspect assez simple : il voulait un travail plaisant, une relation amoureuse stable, un toit au-dessus de la tête, être entouré de sa famille et fonder la sienne… En somme, c’est cette espèce de désajustement qui va le mener à l’effondrement, et ainsi creuser la fameuse « Blessure » évoquée à de nombreuses reprises dans le récit.
La sociologie s’efface au profit de la psychologie dans ce récit : Édouard Louis propose une étude de cas, comme on a pu le retrouver chez Sigmund Freud. Il fait l’effort de reprendre les quelques souvenirs qu’il possède de son frère, et les passe en revue afin d’en dégager des réponses à ses nombreux questionnements : « Je savais qu’une fois de retour chez moi à Paris, j’allais ouvrir mon ordinateur et commencer le récit de l’existence et de la chute de mon frère. »
Édouard Louis évoque la notion de masculinité et la questionne à travers l’alcool, la violence et la dépression.
Récit d’une tragédie : la Blessure
Le pathos est omniprésent dans ce récit, et permet de mettre en valeur les expériences du frère : sa dépendance à l’alcool, un parcours scolaire chaotique, etc. Le lecteur se retrouve ainsi face à face avec le malheur à l’état brut. Les choses ne sont pas cachées, ni édulcorées. Nous sommes en face d’un drame de la vie réelle et quotidienne et il est nécessaire de le retranscrire de la manière la plus claire qui soit. Dans la vie de ce frère, tout vient creuser la « Blessure ». Il est piégé dans un ressassement infini du passé : « J’ai parfois le sentiment que la vie de mon frère n’a été qu’un instrument au service de sa Blessure, et que la question n’est pas de savoir oùelle a commencé, mais pourquoile monde lui a offert autant d’occasions de la creuser. »
Une masculinité questionnée
Ce récit permet également à Édouard Louis d’évoquer la notion de masculinité, et surtout de la questionner, à travers trois grands thèmes : l’alcool, la violence et la dépression.
L’alcool est un point important dans le récit et dans l’œuvre romanesque d’Édouard Louis. Dans L’Effondrement, ce frère devient prisonnier de son alcoolisme. Dans la société et la culture qui est la nôtre, la consommation d’alcool partici...