It’s Been Lovely But I Have to Scream Now est une anthologie féministe d’un fanzine féministe et queer, présentée comme un espace de résistance, de réappropriation du corps et de la voix, loin des métaphores convenues ou des formulations superficielles. Chaque poème, parfois accompagné d’un montage photo, s’inscrit dans une dynamique où le vécu individuel s’élève à une dimension collective, traitant de la douleur, de la violence et des stratégies de survie à travers des expériences directes. Émanent alors de ces poèmes une révélation des oppressions systémiques, tout comme des stratégies pour reprendre possession de soi dans un monde disloqué par les injustices.
La préface s’ouvre sur l’importance de l’écriture comme un acte profondément politique et collectif. Les créatrices reconnaissent dès le début que leur projet est né d’un besoin viscéral de donner une voix aux récits de violences souvent ignorés : « C’est un moyen d’extérioriser les violences subies, de les montrer au monde ». L’écriture devient ainsi un outil de libération, permettant de dire l’indicible dans une société où les récits féministes et queers peinent à trouver un espace légitime. Elle rend ainsi compte du processus de création et de diffusion de ce fanzine, tout en soulignant les défis rencontrés par les autrices. Ce dernier s’inscrit dans une démarche DIY (Do It Yourself), avec des ressources limitées et des méthodes d’impression souvent artisanales. La question du prix est abordée de façon sincère : « On a fixé un prix sans y avoir réfléchi : 1 € c’était trop peu, 3 € nous semblait du racket », reflétant une tension constante entre l’accessibilité et la juste rémunération du travail créatif. Cette approche communautaire se poursuit avec la mention de l’impression « pirate », où des ami·e·s mobilisent leurs propres moyens pour permettre au projet de prendre forme : « Les impressions se transformaient en mission : M. travaillait à la RATP et pouvait nous en imprimer 40. »
Le texte rend hommage à toutes les personnes ayant contribué à ce projet, soulignant l’importance de la confiance et de la solidarité qui ont permis au zine de voir le jour : « On s’est senties faire partie d’une communauté ». Les créatrices se montrent reconnaissantes envers celles et ceux qui ont partagé leurs récits sans rien attendre en retour. Tous.tes appartiennent désormais à la communauté et s’ancrent dans la pensée et le mouvement féministe et queer qui sillonne et dirige l’œuvre. En citant Toni Morrison – « Si un livre que vous voulez lire n’existe pas, alors vous devez l’écrire » – ainsi que Dorothy Allison, Audre Lorde et Maryse Andraos, les créatrices revendiquent une continuité avec les luttes antérieures tout en inscrivant leur propre démarche dans un cadre résolument moderne et activiste. Ce geste de reconnaissance envers les pionnières de la littérature féministe et queer marque un lien puissant entre passé et présent, et souligne la nature intergénérationnelle de la résistance littéraire.
Enfin, la préface ne cache pas les dilemmes éthiques et politiques liés à la monétisation de l’art. Les créatrices expliquent leur réticence à fixer un prix élevé pour le zine, et leur choix de maintenir un prix libre ou très bas reflète une volonté de rendre accessible l’art tout en refusant les logiques capitalistes : « Refuser d’augmenter le prix […] était un acte politique, un acte de refus de la monétisation de cette création-là. » Cette posture anti-capitaliste s’accompagne d’une réflexion plus large sur la place de l’art dans la société, où les normes économiques tendent à restreindre la diffusion des récits marginaux. La préface, en posant le cadre anthologique, se pare de solidarité et s’inscrit dans une lignée politique et militante.
L’exploration du corps : une dualité entre souffrance et réappropriation
Dès le poème « Balançoire » de Sarah Benichou, nous entrons dans un espace où le corps devient le centre d’une lutte à la fois intime et politique. Le mouvement de la balançoire symbolise la dualité du corps féminin, ballotté entre la souffrance et la réappropriation de soi : « Avant. Arrière. Ne plus être une balafre ambulante mais une boule sur quoi tout glisse. » Benichou dévoile ici un rapport au corps qui refuse de se laisser définir par la douleur infligée, même si le combat est incessant. L’aspect viscéral de ce texte est renforcé par l’absence de métaphores diluant la réalité du propos, car il ne s’agit pas là de suggérer une libération abstraite, mais d’affronter directement la violence des coups portés, à la fois physiquement et symboliquement, au corps des femmes. « Annuler mon corps » prend alors le sens d’un geste paradoxal où le corps, plutôt que de disparaître, se révolte contre l’effacement qu’on lui impose. Par ce poème, l’injonction au silence et à la guérison rapide est ici renversée : la douleur devient une force motrice qui, même sans être totalement transcendée, permet une forme de survie.
La lutte pour la voix et l’occupation de l’espace
Le thème de la voix est abordé avec une intensité particulière dans « Ma voix » de Marcia Burnier. Dans ce poème, la ...