La promesse initiale du livre de James Lever est intrigante. Une autobiographie écrite entièrement par un singe. Mais pas n’importe quel singe : Cheeta, la célèbre acolyte de Tarzan. Pendant plus de 300 pages, le primate dévoile les dessous d’Hollywood mais raconte surtout comment les humains ont changé sa vie.
Un livre signé Cheeta elle-même. Ou plutôt, lui-même. Car oui, Cheeta est en réalité le nom de scène de Jiggs, un chimpanzé mâle qui accompagna Tarzan dans tous ses films. Lorsqu’il écrit ses mémoires, Cheeta a terminé sa vie d’acteur et coule des jours heureux dans une maison de retraite de Palm Springs. L’occasion pour lui de revenir sur sa longue vie d’animal star, et sur les coulisses de la plus grande industrie du cinéma de l’époque. C’est authentique (si si, bien sûr que les singes savent écrire), touchant, et c’est surtout très, très drôle.
Capturé tout petit par les dresseurs de la Metro Goldwyn Mayer alors qu’il était dans la jungle africaine, Cheeta adopte rapidement le mode de vie occidental. Très vite, il devient un animal de foire en Amérique, mais peu importe, il adore ça. Hollywood, c’est beaucoup mieux que la jungle.
Les hommes, ces étranges primates
Devenue une star de cinéma, Cheeta est un membre à part entière du gotha hollywoodien. Entre deux paragraphes, il a toujours quelque chose (de plus ou moins gentil) à raconter sur Marlène Dietrich, Ava Gardner ou encore Charlie Chaplin. Comme tout bon acteur qui se respecte, il participe à beaucoup de soirées, fume des cigares, boit de l’alcool et assiste à des parties fines. Il a bien compris que les grands patrons des sociétés de production sont les “mâles dominants” . Tout cet univers ressemble fort à ce qui se joue dans la jungle.
Le singe voit bien que les humains se croient toujours supérieurs aux animaux.
Pourtant, certaines choses lui échappent toujours, notamment en ce qui concerne la sexualité des humains qui l’entourent. Pourquoi tant d’hommes arrivent à être excités par des femmes qui ne sont même pas en chaleur ? Drôle de comportement. Ce qui est drôle aussi, c’est que malgré leur attitude étrange, le singe voit bien que les humains se croient toujours supérieurs aux animaux. Cheeta remet les choses en place. Et il le fait avec la manière, en parsemant son récit de véritables pépites littéraires, dont la plus drôle est sûrement celle de la page 148 : ” “Épater ces dames est une tâche difficile” comme le dit toujours la voix off sur Animal Planet, avec ce petit gloussement que j’ai appris à redouter quand elle vient à parler de sexe. “L’oiseau jardinier possède sans doute la parade nuptiale la plus évoluée de la Création.” De toute la Création ? C’est une blague, non ? Aucune autre ne vous vient à l’esprit ? Indice : afin de parfaire sa parade nuptiale, cette créature a inventé le téléphone, le cinéma, la voiture, la musique, l’argent, la guerre moderne, le tapis en peau de tigre, l’alcool, la lumière d’ambiance, le bateau à moteur, le manteau de vison, la ville et la poésie. Alors s’il vous plaît, ne ricanez pas trop quand l’oiseau jardinier essaie de tirer son coup.”
Moi, Cheeta … aimer Tarzan
Pourtant, même s’il ne comprend pas toujours ce que font les hommes, Cheeta les aime profondément. Parmi eux, un seul se détache dès le départ. Son ami de toujours, son compère, son Tarzan : l’acteur Johnny Weissmuller. A travers les yeux de Cheeta, le lecteur découvre un acteur touchant. Johnny est beau, musclé mais manque de confiance en lui. Il ne peut compter que sur Cheeta, toujours là pour le défendre, le protéger, et le ramasser à la petite cuillère. Lorsqu’il se fait jeter des pierres dans le désert de Mojave par sa troisième femme Lupe Velez (star de la MGM elle aussi, un peu folle visiblement) son singe est toujours là pour l’embrasser par dessus les larmes qui coulent sur ses joues. Lorsqu’à la fin de sa vie, il doit faire une séance photos dans une piscine alors qu’il est très malade, Cheeta est encore là avec lui, même s’il ne sait pas nager. «Mon père, mon frère» écrit le primate.
Même à plus de 76 ans, Cheeta a eu une riche idée en publiant ses mémoires. Un point de vue rafraîchissant, des idées intrigantes, des émotions nouvelles, une lecture différente. Parce qu’il est un singe, il a pu voir beaucoup de choses qui sont habituellement cachées au public. Tout son récit ressemble à une étude sociologique de l’espèce humaine qui donne à réfléchir encore aujourd’hui (sauf si on considère que les singes ne savent pas écrire, ce qui est absurde).
- Moi, Cheeta. Une autobiographie hollywoodienne, propos recueillis par James Lever, Le Nouvel Attila, 348 pages, 22 euros, mars 2015.
Pauline Dufour