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PHILIPPE BIANCOTTO/SDP

Julie Estève, trente-sept ans, a fait paraître Moro-sphinx, son premier roman, chez Stock il y a quelques mois. Elle y raconte la vie de Lola, trentenaire désabusée, véritable « serial-loveuse » qui a pour rituel de couper un ongle de chacun de ses amants, qu’elle conserve en trophée. Entretien.

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Comment écrivez-vous ? Papier ou ordinateur ?

Un ordinateur avec sous la main un cahier à spirales.

Quel héros de roman auriez-vous aimé être ?

J’aime tous les paumés, les désaxés, les solitaires, les fous, les en miettes et les en crise de la littérature mais je n’aimerais être aucun d’entre eux.

Le mot préféré d’Amélie Nothomb est « pneu ». Quel est votre mot préféré ?

Les mots qui rendent les phrases implacables, définitives.

D’ailleurs, à propos de Nothomb, que pensez-vous de cette citation : « Il n’y a pas d’échec amoureux. C’est une contradiction dans les termes. Éprouver l’amour est déjà un tel triomphe que l’on pourrait se demander pourquoi l’on veut davantage. » ?

Dans ce « davantage », il y a tout le problème de l’amour, il y a les mots « toujours » et « encore » qui bataillent avec le mot « fin ».

A votre avis, Lola est-elle une nymphomane dont les tribulations relèvent de la psychiatrie, ou alors est-elle une femme blessée qui cacherait sa vulnérabilité par son besoin de séduire et de conquérir ?

Lola est une petite fille perdue, une amazone contemporaine à la marge, border line, en pleine déréliction qui essaye de survivre, d’oublier des deuils impossibles. Le sexe a pour elle une fonction de décharge, comme l’alcool, qui lui permet de court-circuiter et d’évacuer un temps sa souffrance, ses angoisses. Le sexe, c’est l’oubli. Voilà, l’érotisme lui permet de disparaître. C’est un personnage constamment confronté à des formes de duels, entre son corps et son crâne, le vide et le plein, l’oubli et la mémoire, le laid et le beau, la folie et la raison, la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Croyez-vous au « grand amour » ?

A l’intérieur de mes croyances, il n’y a pas de petit amour.

Pensez-vous que le romantisme soit définitivement mort ? Que la libération sexuelle ait substitué le charnel au sentimental ?

Qu’entendez-vous réellement par romantisme ? Le romantisme n’est pas la passion amoureuse, c’est l’agonie amoureuse, c’est l’expression d’un malaise. Le romantisme se nourrit des inquiétudes du monde et du moi.

Est-ce que la libération sexuelle a substitué le charnel au sentimental ? Mon personnage est plongé dans un romantisme radical, à perpétuité. Il est excessif, ses sentiments sont exacerbés. Lola est dans une impossibilité d’aimer, elle fabrique sa solitude. Elle cherche en vain un amour insensé, presque sacré, pur, et va éponger sa défaite dans la chair.

Mon personnage est plongé dans un romantisme radical, à perpétuité. Il est excessif, ses sentiments sont exacerbés. Lola est dans une impossibilité d’aimer, elle fabrique sa solitude.

Que vous évoque la phrase de Stendhal : « S’il entre un grain de passion dans le cœur, il entre un grain de fiasco possible » ?

Absolument ! Mais il y a du panache dans le mot fiasco. On dit c’est un « véritable » fiasco, c’est un fiasco « complet ». Pour atteindre le fiasco, il faut du cran, prendre tous les risques, viser haut. Le fiasco, c’est l’apothéose du bide, du flop, de la veste. Il y a une forme de grâce là-dedans.

Pour finir, en quelques mots, pouvez-vous me parler du dernier livre que vous ayez lu ?

Je viens de terminer La Succession de Jean-Paul Dubois, un livre dans lequel le désespoir a un charme fou.

  • Moro-sphinx, Julie Estève, Stock, 184 pages, 18 euros, avril 2016