Vingt-deux ans après avoir reçu le prix de Flore pour Mémoire courte, Nicolas Rey revient avec son quatorzième roman, vendu comme son premier de pure fiction, entre polar et comédie de mœurs : Crédit illimité, chez les éditions Au diable vauvert.
Jadis, Nicolas Rey était considéré sur les plateaux télé comme le petit prince de la littérature française. C’est avec une certaine tristesse, mais une tristesse sincère, que j’ai dû me faire à l’idée que ce temps-là était peut-être révolu. Les jeunes auteurs vieillissent, là est tout le drame.
Tuer le père, draguer la psy
Écrivain totalement ruiné à l’approche de la cinquantaine, Diego Lambert n’a d’autre choix que demander de l’aide à son père, richissime directeur d’une multinationale de céréales. Celui-ci, affublé de tous les défauts du monde, est aussi un grand manipulateur. Il propose à son fils 50 000 € pour remplacer la DRH d’une de ses filiales, en arrêt maladie, le temps de la restructuration de l’entreprise. A Diego incomberait donc la lourde responsabilité de mettre en œuvre un plan social d’envergure. Il ne peut qu’accepter, et prend les choses en main, mais pas exactement selon les attentes de son père.
Après tout, n’a-t-on pas inventé la psychanalyse précisément pour que des personnages de romans tombent amoureux de leur thérapeute ?
Car Diego profite de la mission ingrate confiée par un géniteur en forme de statue du Commandeur pour questionner sa propre humanité et guérir de sa neurasthénie. Dans son bureau défilent les uns après les autres des employés sur la sellette, autant d’occasions pour Rey de peindre des portraits plus ou moins tendres d’une foule de gens lavés, hors d’usage. Le fils Lambert (Diego Lambert, quand même, quel nom !) est accompagné de son meilleur ami, vague célébrité de télé crochet, et de sa psy, dont il va évidemment s’enticher – car après tout, n’a-t-on pas inventé la psychanalyse précisément pour que des personnages de romans tombent amoureux de leur thérapeute ? Notons d’ailleurs que pour une fois, chez Nicolas Rey, si le héros est dépressif, il n’est pas pour autant alcoolique, et peut boire innocemment son vin blanc.
Le verre de pas assez
Le décor étant planté, que penser de ce roman ?
On n’a encore rien inventé de mieux que l’amour pour inspirer les auteurs. Le ton de Nicolas Rey est là, et on l’entend presque nous raconter l’histoire éternelle de cet homme qui tue le père, tombe follement amoureux de sa psy, et cerise sur le gâteau, la courtise en lui portant des plateaux de fruits de mer à son cabinet. Le XIXe a eu sa dame aux camélias, nous aurons la psychiatre aux langoustines.
A plusieurs reprises, Rey se place sous le saint patronage d’Antoine Blondin, leplus grand écrivain français vivant, comme l’avait appelé un compagnon de beuverie germanopratin dans une nouvelle éponyme. Rey cite le fameux « bonheur rangé dans une armoire », il connaît ses classiques. Ça ne peut pas faire de mal. Il en profite pour planter une ou deux banderilles, comme : « André est régisseur, complotiste, syndiqué, ancien gilet jaune, et sera le dernier type de cette planète à recevoir son premier vaccin. » Oui, il y a bien du Blondin chez Rey.
L’amour toujours
L’affaire policière n’est qu’un prétexte à la reproduction du motif amoureux qu’on aime voir surgir sous la plume de Rey.
Mais on ne lit pas Nicolas Rey pour ses satires sociales, ou son sens de l’intrigue. Le roman a beau être placé sous le patronage d’Hitchcock, l’affaire policière n’est qu’un prétexte à la reproduction du motif amoureux qu’on aime voir surgir sous la plume de Rey. Submergé par l’émotion, le héros tente de rationaliser en faisant appel à la science, mais c’est peine perdue : « J’aime chacune de vos molécules, Mademoiselle Bellay. Et il faut être deux pour s’aimer à ce point. » C’est un peu niais, pas loin du ridicule, faussement grandiose, bref, exactement ce qu’on est quand on tombe amoureux. Et puis après tout, Rey a raison, tout ça n’est qu’une question de phéromones : « Mais c’est chimique, que veux-tu. C’est son odeur. C’est totalement primitif comme attirance, d’ordre animal. J’ai beau passer par la case réflexion, ça me réveille la nuit. »
Si vous avez déjà lu Vallauris plage, Un léger passage à vide, ou encore L’amour est déclaré, vous savez bien que ce qui est agréable dans tous les Nicolas Rey, c’est qu’il a ce don de nous faire tomber amoureux en même temps que ses héros : « ses fossettes sont les preuves incontestables qu’il y a sur Terre une force supérieure qui nous dépasse tous très largement. » Rey prend le lecteur par la main, et nous permet de revivre les grandes émotions des premières fois adolescentes. Hélas, la recherche de la formule efficace confine parfois à la platitude. On pardonnera certaines banalités comme « j’ai pensé que tout ne se passait pas forcément de façon chouette pour les gens bien, dans l’existence » en se rappelant que, comme Pouchkine, Nicolas Rey est un poète des lieux communs.Mélodie mélancolique
Si certains auteurs refusent de consulter, dans la crainte que leur psychanalyste ne vole leurs idées, il se pourrait que ce roman ait été en grande partie écrit sur un divan. L’histoire d’un homme qui tue (littéralement) son père pour se libérer du poids du passé et apprendre à apprécier la vie relève d’un cas clinique. Aurait-on préféré que Nicolas Rey se fasse plagier par sa psy ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’aurait eu aucune chance de percer avec ça. Il fallait que ça sorte.
Regardons la vie avec les yeux du petit prince déchu de la littérature française : « Oui, mais il existe une chose que personne ne peut me reprocher : je suis doué pour la vie. Doué pour prendre le soleil dès qu’il se pointe, doué pour jouir d’un bon vin, d’un plateau de fruits de mer, d’un morceau de musique qu’on écoute à l’aube sur une plage, face à la mer, en pensant à celle qu’on aime et qu’on va retrouver dans un grand lit. » Un véritable mélancolique, c’est quelqu’un qui sait ce que la vie peut offrir de grand, malgré le grand chantier qui l’entoure. Car en dépit de tout, vraiment tout, avouons-le avec Nicolas Rey, « vivre est franchement sublime. »