Paris dans tous ses siècles est le nouveau roman de Charles Dantzig. Parue le 10 janvier dernier, l’œuvre nous expose un Paris vivant, bruyant, et surtout historique. Dantzig réussit à redonner toute sa texture à la capitale, prisonnière d’une gangue d’images d’Épinal. Il redessine les contours du mythe à partir de ses habitants.
Paris dans tous ses siècles repose sur un parti pris ambitieux. Charles Dantzig n’hésite pas à briser le lien pudique entre protagoniste et lecteur, ce qui contribue à déstabiliser, mais aussi à dynamiser la narration. Le livre s’articule autour de la vie parisienne, et s’intéresse à l’architecture de la capitale, mais surtout à son histoire. Pourtant, Dantzig refuse l’approche chronologique, préférant une approche plus vivante et dynamique : on passe ainsi de Louis XIV à Disiz la Peste pour revenir à Victor Hugo.
Un Paris historique et symbolique
Comment réussir à consacrer un livre à Paris après avoir lu les textes de Baudelaire, Hugo, Balzac ou encore Eugène Sue ? Dantzig choisit d’adopter une approche contemporaine et incarnée. Les différents personnages du livre mettent en avant la splendeur de la ville.
“Le seul fleuve au monde, tu m’entends, le seul, qui traverse une capitale en son milieu, sans être ni trop bas, comme à Rome, ni trop large, comme à Londres, ni trop frontière, comme à Budapest, enfin un fleuve qui ne sépare pas.”
Dantzig ne se contente pas de représenter un Paris de carte postale, mais montre que Paris est une ville de l’insurrection. Nous accédons à l’intériorité même de la capitale, nous défaisons la ville de sa peau de béton, pour y déceler son histoire, ses symboles. En effet, les manifestations, les tags à messages engagés font aussi partie de la chair même de Paris. Charles Dantzig fait de ces éléments un simple quotidien dans la vie parisienne, il écrit même que “la colère est devenue à la mode”. Paris est la colère, Paris est la révolte, Paris vit.
“Paris, sans cesse secoué de haines ! Manifestations, attentats, grèves, casseurs… On a monté la France contre Paris, elle monte à Paris pour se venger”
Nous accédons à l’intériorité même de la capitale, nous défaisons la ville de sa peau de béton, pour y déceler son histoire, ses symboles.
Finalement, la capitale française est un véritable trésor culturel, politique, car nous y retrouvons de tout : des cinémas, de la haine, des monuments, des symboles. Mais c’est aussi un “cerveau”, comme l’écrit l’auteur. Un cerveau qui marche grâce à tous les artistes de la ville qui font vivre celle-ci, qui la font rayonner, et parfois la critiquent. Par là, Dantzig s’accorde en quelque sorte sur l’idée de Walter Benjamin – sans pour autant y faire allusion – considérant que Paris est le foyer du XXIe siècle. Pour les deux auteurs, Paris est aussi source de modernité, de renouveau, dans sa culture et son architecture. Dantzig le montre lorsqu’il parle de développement des murs de la ville par exemple.
“Après s’être réjoui d’en avoir aboli tellement au XXe siècle, les humains du XXIe en ont élevé de nouveaux, et en quantité partout. Ils ont fait des murs au lieu de faire la politique”
Écrire le quotidien, à la frontière du réel
De la même façon que James Joyce nous balade dans les rues de Dublin dans son labyrinthique Ulysse, Charles Dantzig parvient à nous transporter sur les trottoirs et les grandes avenues parisiennes. L’auteur nous retranscrit le quotidien de tout un catalogue de personnages aux activités diverses. Dans la capitale, on rencontre ainsi Gabrielle, galeriste ou Victor, écrivain. Cette “narration du quotidien” – si l’on peut appeler ce procédé par ce nom – va au-delà d’une simple description de la ville et de ses habitudes. Paris et ses habitants deviennent les personnages principaux de l’histoire et de l’action. Pour alimenter cette littérature du quotidien, Charles Dantzig ajoute à l’histoire des petites bandes au bas de certaines pages avec du texte. Il s’agit de réflexions faites par des passants. Certaines amusantes, créant un effet de réel au sein même de l’histoire :
“Beau mec ! – Il boite. Mmm. Encore plus séduisant”
Nous avons, grâce à ce processus, l’impression de nous balader dans les rues de la capitale, ouverts à toutes les paroles des passants. Nous devenons alors, nous aussi, lecteurs, des personnages de l’histoire.
Charles Dantzig vogue entre le réel et l’irréel lorsqu’on le surprend à faire parler des animaux en début de chapitre, prenant une place importante dans l’histoire. Ils critiquent, jugent et même cohabitent avec les humains.
“Tchik tchak mousquetaire ! Victor a bien fait d’oublier
de fermer la fenêtre en rentrant cette nuit, il faut dire
qu’il n’était pas en état de penser”
L’auteur fait alors passer ce phénomène surnaturel, pour quelque chose de tout à fait normal, réel, comme si les animaux faisaient alors partie de la chair de l’histoire, et de la capitale.
Ainsi, l’auteur nous fait découvrir Paris, dans les yeux des oiseaux et les oreilles des souris, qui se baladent partout dans la ville. Les personnages vivent une vie que nous suivons grâce à la plume, précise et admirable, de Charles Dantzig.
- Paris dans tous ses siècles, éditions Grasset, 2023.