Le métro est bloqué entre deux stations. Quelle stratégie adopter ? Sortir à la première occasion de ce train de l’enfer et attendre le suivant ? Sacré problème, ça, pour un claustrophobe, surtout quand on sait que ce type n’est pas très en avance et qu’il va à la rencontre de la romancière Pauline Toulet, qui vient de publier Anatole Bernolu a disparu.

 Pauline Toulet, Anatole Bernolu a disparu

Anatole Bernolu, le personnage principal du premier roman de Pauline Toulet, est un drôle de zigue : anthropologue effrayé à l’idée de franchir le périphérique, spécialiste des marabouts de Paris (avec une préférence pour Moussa, réparateur de grille-pain le matin ; voyant l’après-midi), amoureux fraîchement éconduit par une demoiselle à qui il ne cesse d’écrire des lettres (l’inconsciente a eu le malheur de lui servir le rhétorique « on garde contact »), marcheur qui ne passe que par les rues dont les noms ne comportent pas la lettre e. (salutations distinguées et multiples à Perec) et, surtout, ardent défenseur de la théorie selon laquelle Claude Lévi-Strauss serait… un tueur en série. Précisons ici qu’il n’est pas nécessaire d’être spécialiste de ce dernier pour lire ce roman aux allures de faux-polar echenozien. 

Aussi fantasque et absurde que le personnage-titre, ce premier roman, Anatole Bernolu a disparu,  est une sacrée réussite et il est signé Pauline Toulet – elle-même anthropologue de formation. Par le biais d’un narrateur omniscient, contempteur de notre époque et de sa maladie du bien-être, sorte d’Ignatius Reilly à peine moins velléitaire, la jeune trentenaire nous entraîne dans l’esprit interlope d’un inoubliable personnage de tire-au-flanc, un anti-Bartleby qui, par flemme ou par bêtise, ne sait pas dire non. 

Pauline Toulet évoque, alors que nous convenons d’un rendez-vous (chacun s’inventant un emploi du temps de citoyen actif) une brasserie du treizième arrondissement. Paraît-il qu’ils ont des bières pressions correctes à des prix abordables. Ces considérations techniques réglées, nous nous arrêtons sur un jour et une heure. Et c’est le grand soir. La voilà, d’ailleurs, qui approche dangereusement. Je fais mine de ne pas l’avoir vue et de relire mes notes (en fait, je relis les résultats d’un examen médical réalisé dans l’après-midi – je n’ai de toute façon pris aucune note) et écrase négligemment ma cigarette dans le cendrier. Tiens, est-elle fumeuse ? Cela ferait-il une première question convenable ? À la façon nerveuse dont je rallume une autre cigarette, on pourrait croire que j’en doute. Parce que, oui, avant qu’elle ne s’installe, je dois avouer que c’est la première fois que je m’adonne à cet exercice et que je n’en mène pas large. 

Nous optons pour une bière belge bien connue et commençons à discuter de tout et de rien – c’est-à dire du seul sujet qui vaille –, ici et là, je la fais parler de son Curriculum, des marabouts, de Jonasz, de Delpech et de tous les Michel de la chanson française, de l’éloge de la fuite (après tout, comme disait le chanteur des “Divorcés” : “toi qui as voulu t’emprisonner, as-tu le droit de condamner, celui qui cherche à s’évader ?” mais nous ne sommes pas là pour faire de la philo) de la rentrée littéraire qui prend fin, de Jean-Claude Romand et de ses préférences en termes de soupes instantanées. Tout cela est un peu décousu, convenons-en, mais le temps de l’entretien, ai-je décidé tout à fait arbitrairement, sera pour plus tard, lorsque nous aurons séché cette première bière et commandé la seconde (ou la deuxième, selon la façon dont nous voyons les choses). Cela tombe bien : nous en sommes à ce moment fatidique. 

— Comment en es-tu arrivée à écrire ce premier roman ? je lui demande, impressionné par mon audace et mon originalité. 

Pauline m’explique avoir fait une école de cinéma. 

— Ah bon, tu as fait une école de cinéma ?

(Quand nous n’avons pas préparé de questions, il faut sauter sur la moindre occasion de placer un point d’interrogation, au risque d’être impoli et de couper la...