Se séparer, être au chômage puis trouver un emploi, errer dans Paris, faire (ou subir) un tunnel en soirée, consulter un marabout… toutes ces situations auraient l’air banales (sauf peut-être la dernière) si elles ne se trouvaient pas dans le roman de Pauline Toulet, Anatole Bernolu a disparu. Dans ce livre, publié aux éditions Le Dilettante, le héros éponyme infuse chacune de ces situations de son décalage avec le monde qui l’entoure. Cette posture permet une analyse de notre société contemporaine marquée par une absurdité que l’on ne voit même plus. Heureusement, Pauline Toulet est là pour nous la faire ressentir de nouveau.

Pauline Toulet possède une solide formation en anthropologie. Elle a failli se lancer dans une thèse mais elle a fait encore mieux en écrivant ce livre qui propose un véritable regard anthropologique sur le monde en nous épargnant le sérieux et l’objectivité scientifiques. Au contraire, les situations sont décrites avec une ironie et un humour qui auraient horrifié un comité de thèse.
Cela se ressent aussi dans l’intrigue secondaire : Anatole Bernolu est persuadé que Claude Lévi-Strauss a assassiné ses rivaux afin de devenir l’ethnologue de référence. L’obsession d’Anatole à son égard permet des moments franchement drôles, et propose une satire du monde universitaire qui peut s’apparenter au David Lodge d’Un tout petit monde.
Un héros décalé
J’ai toujours eu une tendresse particulière pour les héros qui, du beau-fils d’Emmanuel Bove au Raphaël Tisserand d’Extension du domaine de la lutte, forment une espèce marginale. Je me suis identifiée à eux et à leur solitude, malgré la différence de genre – ce sont toujours des hommes. Au-delà de mon v écu différent (je ne suis pas aussi aigrie que les héros houellebecquiens, Dieu merci), ces personnages disent quelque chose de notre société. Ainsi Extension du domaine de la lutte constitue, pour son auteur, la tentative d’une « théorie complète du libéralisme, qu’il soit économique ou sexuel ».
Le héros de Pauline Toulet, Anatole Bernolu, se place d’emblée dans la lignée de ces losers de 30 à 40 ans. Le personnage nous apparaît dans un appartement vidé de la moitié de ses meubles après que sa compagne l’a quitté. Il ne sort ensuite que pour se rendre à un rendez-vous au Pôle emploi où sa formation d’anthropologue ne joue clairement pas en sa faveur. Les épisodes qui constituent sa vie ne sont qu’une succession de situations de malaise, que ce soit en soirée, au travail ou en famille.
Les malaises proviennent de la difficulté, pour Anatole, de communiquer avec le monde extérieur. Cela ne touche pas un domaine particulier, chaque sphère est concernée. La plupart du temps, l’impossibilité de communiquer passe par un décalage dans le langage. C’est le cas de Joséphine, l’ex du personnage, avec qui Anatole monologue par mail. On ne la voit jamais répondre. Dans ce livre comme souvent dans la société, personne ne semble réellement se comprendre. L’absurde est une banalité inscrite dans la trame des jours. À ce titre, l’épisode du repas de famille est particulièrement éloquent. Personne ne parvient à se lier car on ne se parle vraiment par peur, paradoxalement, de se blesser en étant trop sincère.
“Le déjeuner se poursuit, entrecoupé du tintement des petites cuillères sur la porcelaine et du bruit des conversations, que l’on veut anodines, inoffensives surtout, et tant pis si cela signifie insipides : on entrevoit la fin de cette réuni...