Écrivain à l’univers mouvant, Thomas Pourchayre s’adonne à l’expérimentation poétique avec son recueil Du chaos et de la bonne digestion des choses paru en avril dernier aux éditions Abstractions. Cette maison d’édition indépendante tout juste créée l’an dernier promeut des auteurs « à contre-courant » en associant arts et littératures. Avec pour contrainte oulipienne le thème de la digestion, le poète nous livre des contes animaliers qui ne laisseront pas ses lecteurs indifférents.
Si le Prologue avec un tournesol qui fait guise d’incipit sème le doute quant au parti-pris poétique de Thomas Pourchayre, cette impression de discorde s’estompe rapidement avec l’entrée dans le noyau du recueil intitulé Chaos en petites coupures. Se dévoile alors un univers peu ragoûtant de boyaux noués et de créatures condamnées à la putréfaction. La plume du poète déroute le lecteur jusqu’au dégoût. Il faut dire que l’image de la digestion, avec ce qu’elle peut entraîner de nauséabond et de disgracieux, ne se présente pas spontanément à notre esprit lorsqu’on pense à de la poésie. Thomas Pourchayre est donc courageux de jeter son dévolu sur cette thématique qui bien qu’incommodante n’en est pas moins un matériau poétique original et riche en images comme il nous le démontre.
« Il se pourlèche
prend plaisir manifeste
dégustation en salive épaisse et onctueuse
sang condescendance croûtes sur les commissures »
Au-delà de ce tour d’adresse littéraire, l’intérêt majeur Du Chaos et de la bonne digestion des choses réside dans la volonté de l’auteur de s’approprier la tradition des fables animalières de La Fontaine pour les revisiter façon XXIe siècle. Chaque poème se rattache à un animal, du rat à l’oiseau en passant par l’hyène et le poisson rouge. Il n’est plus question d’animaux évoluant librement dans leur environnement naturel à l’instar du héron ou du corbeau tenant en son bec un fromage mais d’espèces le plus souvent soumises au joug de l’homme, de sa bêtise et de sa cruauté. En cela, la portée morale des poèmes de Thomas Pourchayre ne réside pas tant dans une morale transposable à l’être humain par le biais de créatures anthropomorphes mais plutôt dans une mise en garde explicite des dérives de nos sociétés modernes à l’encontre du bien-être animal. Le poète met donc sa plume au service de la sensibilisation à la cause animale, aussi bien pour dénoncer la chasse au chevreuil que la vivisection des lapins blancs, et nous l’en remercions.
Certains poèmes se révèlent beaucoup plus habiles que d’autres. C’est le cas de (I’ve tried in my way to be free) qui en alliant la forme au fond saisit le lecteur au travers de l’allégorie de l’oiseau en cage. Le message véhiculé est non seulement celui de la condamnation de la pratique archaïque visant à laisser croupir des oiseaux dans des cages inadaptées ; il est également politique et se fait métaphore de nos libertés fondamentales en revêtant de surcroît une dimension philosophique avec l’allégorie de la caverne.« Le chevreuil pense
à cet homme fatigué
à son estomac trop plein
de ses cuissots baignés
dans la sauce au vin »
« Avec tes plumes repeintes
et le confort de ta cage assortie
te sens-tu encore l’envie de voler ?
Le rêve résiduel que tu en fais
n’est-il pas plus élevé
que le vol lui-même ? »
Le poème (autant en emporte) est de même plus intriguant que les autres. Une méduse lance des injonctions sexuelles à un destinataire inconnu du lecteur … Mais loin d’être érotique, c’est l’exhalaison de la violence voire de l’omerta sur l’inceste qui semble refluer, nous rappelant indirectement L’Enfant Méduse (1991) de Sylvie Germain.
« embrasse-moi jusqu’à m’user
jusqu’à m’élimer en désarroi de flaque d’eau
Ne crains pas les boutons
ne crains pas les plaques rouges
ne crains pas la guimauve translucide
le flasque qui flagelle »
Le goût du dirty realism
Ce qui retient notre attention dans le recueil de Thomas Pourchayre, c’est bien cet univers morbide faisant émerger de vagues réminiscences du réalisme sale de Bukowski. La violence suinte à travers les lignes et provoque une sensation de dégoût chez le lecteur. Cet effet répulsif, bien que déroutant au début de la lecture, s’avère fort intéressant à disséquer d’un point de vue littéraire.
« la gorge irritée par le tranchoir
euphorique à force de respirer du chlore
étourdi par le sifflement de la machine à éviscérer »
Là où le poète se démarque, c’est en ce qu’il permet la rencontre entre le glauque et le surréaliste. Point de « réalisme magique », mais construction de ce que l’on pourrait nommer le « surréalisme morbide ». La fantaisie se mêle au répugnant. Pour mieux pointer du doigt l’absurdité de ce monde, Thomas Pourchayre tient à transformer celui-ci en un cloaque surnaturel, le tout saupoudré d’un humour quelque peu rabelaisien.
« C’est sûr il faudrait le réduire
avec quelques points de suture
ou carrément le bouchonner au maillet
quitte à risquer l’explosion »
Beaucoup d’éléments dans ce recueil nous ramènent en effet à un tel désespoir bukowskien … Plus généralement, cette dimension américanisante est bien présente comme en témoignent certains anglicismes chers à l’auteur, à savoir « cow-boy » et « western ». L’image du tournesol, tantôt fièrement dressé tantôt croulant sous son poids, de même que l’alcool et le paysage désertique évoqués par le poète, nous renvoient inconsciemment au Far West mythifié et pourtant haut lieu de désolation …
« Et l’homme
ce curieux soldat cowboy peut-être
caresse le tournesol de ses phalanges recroquevillées »
En somme, Du chaos et de la bonne digestion des choses surprend le lecteur. Il s’agit bien là de poésie s’offrant à nous avec toutes ses incongruités. Nul doute que le talent singulier de Thomas Pourchayre sèmera ses graines dans le monde de la poésie contemporaine.