REPORTAGE. Notre contributeur, le romancier Pierre Guerci, s’est infiltré le temps d’une soirée dans un atelier de Tantra, afin de s’initier aux « mystère du toucher conscient », et d’apprendre à « coopérer avec l’amour », à « faire pulser sa vitalité ». Reportage.

Rien n’est plus facile, de nos jours, que de s’initier au Tantra. Même un nazebroque dans mon genre, armé seulement d’un compte Facebook et d’un pass Navigo, peut passer chaque soir de la semaine et l’intégralité de ses week-ends à tantriser. Il y a évidemment les massages qui se revendiquent du vaporeux syntagme afin de passer sous les radars prostitutionnels et se vernir de sensualité chic et mystérieuse ; mais les groupes dans lesquels je m’incruste ont une sainte horreur de ces détournements. De fait, ils ont autre chose à proposer : cercle de mantras le lundi, skydancing le mardi, atelier massage le mercredi, yoga kundalini le jeudi, bercements en eau chaude le vendredi — et rebelote les week-ends dans des fincas de l’Oise ou de l’Hérault. A vrai dire, je ne sais pas comment partir le mieux à la découverte de moi-m’aime. 

Faut-il d’abord que j’apprenne à « coopérer avec l’amour » ou à « faire pulser ma vitalité » ? que je m’initie au « mystère du toucher conscient », que je « plonge dans mes polarités », que je me risque dans « la nudité du oui » ? Je parcours les propositions, qui sont en majorité le fait de proposantes certifiées par des heures de formation auprès de grands noms qui n’impressionnent le néophyte que par leur typographie majusculée. De même, nombre d’événements sont réservés aux femmes — à la célébration de leur féminin sacré, à la découverte des pouvoirs de la yoni, à toutes sortes d’insertions-expirations destinées à faire résonner leur puissance en phase avec la vibration de l’Univers. « L’appel des louves », « Le grand cercle des soeurcières », « La danse des déesses » : les visuels sont intimidants, les accroches parfois révoltantes, l’offre celle d’un « empouvoirement » un peu spécial. 

Parmi les soirées ouvertes à tous, ce n’est finalement pas si simple non plus : ceux organisés par des briscards du tantra n’ont souvent plus que des places pour les femmes, parité oblige ; ceux organisés par des collectifs, composés de jeunes qui s’inscrivent fièrement en faux de ce souci et plus généralement de la binarité sexuelle, ont atteint leur quota d’hommes cisgenres. Je crois un temps pouvoir m’inscrire à l’atelier massage d’une quinquagénaire au nom à particule de maquerelle, vêtue comme Janis Joplin, dont la page de couverture fait apparaître une citation d’Osho et une image du corps humain éclairé le long de son axe par ses chakras lumineux. Dans le descriptif, il est question de pétillement des sens et de dissolution des frontières entre soi et l’autre par la magie du toucher conscient, de rassembler ses plus belles énergies à la surface de tout notre corps qui est aussi notre âme (tout ça est non-dual) et de placer notre Sexualité au coeur de notre Quête Spirituelle afin d’enraciner l’éveil de notre corps érotique dans nos espaces psychiques profonds et d’atteindre à une intensité sensuelle porteuse d’orgasmes multiples (féminins et masculins) qui nous ouvrent à ce qui est plus grand que nous… Tout un programme ! Suivant la consigne, j’appelle. 

A l’autre bout du fil, la voix chaleureuse et enveloppante, prend en pitié ma déshérence somato-spirituelle — j’explique que je me sens de plus en plus divorcé de mon corps, que mes sensations sont faibles, que mon désir ne passe plus que par la vue, la faute sans doute à la pornographie. L’atelier est malheureusement plein, mais elle propose aussi des séances individuelles où tout le corps est massé — le sexe aussi mais de manière non-sexuelle, ça va sans dire — par un toucher d’amour désintéressé qui permet de retrouver son estime de soi. Il se dégage de son propos une sorte de condescendance tranquille à l’égard de tous les mal-baisé.e.s de la Terre qui sont finalement responsables, non seulement de leur solitude, mais de leur retard développemental ; grâce au tantra en effet, plus personne n’a d’excuse pour mettre de côté sa sensualité et ne pas se connecter à son corps, sauf à refuser volontairement la rédemption et le paradis : devenir Shiva ou Shakti, puisqu’après tout nous sommes des dieux — des dieux détendus, préoccupés de leur jouissance, plus romains que hindous, mais des dieux quand même. Je suis trop émoustillé pour tout comprendre, mais  j’enregistre le numéro pour une prochaine fois.  

J’arrive finalement à m’inscrire à un atelier d’initiation qui s’adresse aux jeunes — mes trente-six ans passent tout juste mais je me ferai une barbe deux jours au lieu de trois —, organisé par un collectif orienté éco-tantra. Il est question de méditation en phase avec Gaïa, et d’une rencontre avec autrui axée sur le consentement. Le formulaire me demande si j’ai déjà participé à un « atelier pratique du consentement » et si quelqu’un peut attester de ma capacité à « être safe dans un contexte comme celui-ci » : je mets non et non, ne sachant quelle ex citer. Il faut encore une photo (?), un lien vers mon profil Facebook, et ma demande est soumise à approbation de qui de droit. Le lendemain je reçois un mail m’invitant à passer à la caisse, tarif solidaire, standard ou soutien — trop tard pour l’early bird. 

Quand j’entre dans la salle, j’entends fuser des pseudonymes comme Aquarius ou Bégonia, à moins que ce ne soit de vrais prénoms. Il y a quelques Jésus en toge blanche, quelques zigs de vingt-deux ans avec des moustaches de papa, énormément de bracelets tressés. Un jeune chauve en t-shirt serré, dont la glotte oscille sur cinq étages de gorge, m’explique en longueur qu’il cherche à s’ouvrir à quelque chose de nouveau, qui lui fasse oublier son important travail ; les autres ont un violon d’Ingres quelconque, qu’ils présentent comme une activité à temps-plein — peut-être bien que leurs parents leur paient un loyer dans le 11e. 

De manière générale, sauf pour quelques-uns qui s’assument ténébreux, ces messieurs promènent des sourires d’ange rémois sur le cercle de coussins, le petit buffet improvisé, les solives obliques. Quant aux filles, elles se répartissent globalement en deux catégories : les imbues d’une superbe qui révèle ou leur habitu...