Déjà présents sur la scène du Rond-Point en 2007 puis en 2011, c’est à bord d’un train que reviennent dans ce même théâtre, les mondialement connus clowns Semianyki, mot russe pour dire « famille », avec dans leurs bagages, une nouvelle création loufoque et burlesque : Semianyki Express.
Une voix douce et familière ordonne aux spectateurs d’éteindre leur téléphone portable afin de prendre confortablement place dans le train des clowns Semianyki. Kasyan, le chef de gare est pourtant intransigeant mais les employés de la compagnie de chemin de fer sont en retard ; Alexander, le barman, Olga, Marina et Yulia, les serveuses dévalent les escaliers depuis le public et Elena, la petite dernière avec sa perruque rousse et ses claquettes sautera dans le train en marche. C’est dans cette précipitation joyeuse et délirante que peut débuter un périple truculent au pays des rêves ébranlés.
Le grand cirque
Ces clowns viennent de Saint-Pétersbourg et leur troupe Semianyki a été créée en 2002. Dans leur train, il y a un wagon-bar à l’allure excentrique, en parfaite adéquation avec la peinture blanche de leurs visages farceurs, les traits forcés par le crayon noir et leurs costumes souvent débraillés. Des plateaux en argents suspendus à des abat-jour bariolés descendent, fragiles, du plafond. La musique de fanfare entraîne les personnages dans des danses enflammées et saugrenues. A un rythme effréné, ils délaissent peu à peu les rails pour la mer, pour un show cabaret façon années folles, puis y reviennent plus tard car les aiguilles de la grosse horloge tournent et c’est bien le seul repère qui les rattachent encore au réel.
Ils se rêvent acteurs ou danseurs mais leurs ambitions sont contrecarrées par une frayeur, un dérapage, une chute. Heureusement, le ridicule ne tue pas sinon ils seraient morts un millier de fois. Surtout qu’ils aiment bien la boisson et ne contrôlent pas les conséquences qui s’en suivent. Entre jeu de mime et charivari bouffon, les clowns Semianyki font avant tout rire et ils sont bien là pour ça.
Entre jeu de mime et charivari bouffon, les clowns Semianyki font avant tout rire et ils sont bien là pour ça
Semyanyki Express est un divertissement « pour petits et grands » comme disent les publicités pour vendre leurs jeux de société. Un juste mélange de féérie et de plaisanteries. Cependant, bien que drolatique, la mécanique est parfois trop attendue, trop prévisible. Les procédés farcesques ne sont pas renouvelés ; ce sont déjà ceux empruntés au cinéma muet de Chaplin ou plus loin encore aux comédies antiques. Le rire est toujours gras et l’émerveillement procuré par le travail esthétique de la mise en scène, vite dissipé par cette incorruptible volonté de faire sourire dans un vautrement ou une perte d’équilibre grotesque. On notera aussi que le recours à une bande son composée de tubes (Stand by me de Ben E. King entre autres) est à ranger dans la catégorie de « l’astuce facile ».
Alors, on cherche une raison autre à ce voyage. Mais on ne trouve pas ; la scène est envisagée comme un défouloir. Je ne dis pas que cela ne fonctionne pas mais il me semble que cela manque de poésie ; d’un je-ne-sais-quoi qui nous emmène au-delà des cocasseries prosaïques.
Néanmoins, SemianykiExpress présente indéniablement une performance explosive et jubilatoire, notamment avec ce personnage fellinien qu’incarne la plantureuse Olga en vamp hystérique, mais qui mériterait parfois d’être plus mesurée et énigmatique pour laisser place à l’imagination du spectateur.
- Semianyki Express du Teatr Semianyki, au théâtre du Rond-Point jusqu’au 5 juillet
Jeanne Pois-Fournier