Severance, série dystopique réalisée par Ben Stiller et créée par Dan Erickson, propose une plongée glaçante dans l’univers aseptisé de Lumon Industries où des employé.es « dissocié.es », suite à l’implantation d’une puce dans le cerveau, vivent deux existences distinctes : l’une à l’intérieur de l’entreprise (les « innies »), l’autre à l’extérieur (les « outies »), sans avoir le moindre souvenir de l’une ou l’autre. 

Au-delà du thème du monde du travail et de ses injonctions, Severance déploie une imagerie religieuse constante. La série ne pourfend pas simplement l’entreprise dans ce qu’elle peut avoir de plus dictatorial, elle pointe également la théocratie à travers laquelle croyance, obéissance et ritualisation forment la structure même d’un pouvoir totalitaire et patriarcal. Décryptage d’un monde où le religieux l’emporte sur la liberté. 

Une terre sainte 

Lumon repose sur une organisation quasi-liturgique : cérémonies, prières, rituels. La doctrine Eaganienne construit un monde clos où douter relève du blasphème et où la surveillance agit tel le regard d’un dieu omniscient. 

Les employé.es doivent retirer leurs chaussures d’outies avant de pénétrer dans l’ascenseur comme on entre dans un sanctuaire, et les représentations picturales du fondateur suggèrent l’apocalypse et autres prophéties. L’entreprise dispose de son propre jardin d’Eden, la serre où se retrouvent Burt et Irving, amoureux soumis à la tentation alors que les relations romantiques sont prohibées. Un système de punitions/récompenses y est instauré, à l’égal du dieu de la Bible qui châtie les impies et récompense les justes, et les offrandes des chevreaux voués à la mort sont à l’image de l’agnus dei, sacrifié pour racheter les péchés des hommes et symbole de la soumission à la volonté de Dieu. 

La Break Room est un des éléments les plus frappants, cet endroit où l’on doit psalmodier ses fautes jusqu’à s’en convaincre. Nous sommes ni plus ni moins face à un acte de contrition récité dans un confessionnal où celui qui écoute et celui ou celle qui est contrit.e sont séparé.es par une cloison à travers laquelle ielles se devinent. 

Que dire également du service Raffinage des Macrodonnées ? La tâche qui incombe aux employé.es (trier les chiffres en fonction des émotions qu’ils suscitent) fait écho aux anges moissonneurs du jugement dernier, dont la mission est de séparer « le bon grain de l’ivraie ». 

Dissociation ou résurrection ? 

La procédure de dissociation évoque la séparation du corps et de l’âme, l’ascenseur jouant ici le rôle de sas dans lequel, en une fraction de seconde, la vie précédente a disparu. Ainsi l’innie renaît vierge de toute mémoire, malléable à merci et donc apte à servir. Une résurrection confirmée par la différence d’âge entre les outies et leurs innies : Irving le dit lui-même ainsi que Mark lorsque son innie et son outie trouvent un moyen de dialoguer et à qui l’on offre des ballons pour fêter son retour. Quant à Dylan, son innie ne jure que par les bonbons et les jouets, et Helly est une adolescente insoumise dont Jame Eagan dit qu’il retrouve en elle la jeune Helena qu’il voyait comme la successeure de Kier. 

“À travers cette fresque glacée, Severance fustige les codes du religieux qui orchestrent Lumon, où l’individu est abandonné sur l’autel du pouvoir absolu.”

Le diable se cache dans les détails 

Si Mark Scout, le personnage principal, est, comme son nom l’indique, l’éclaireur, qu’en est-il des autres protagonistes ? Certain.es laissent apparaître des aspérités qui sèment le doute, à commencer par Harmony Cobel. Responsable du sous-sol des dissocié.es, elle est la veuve d’un charpentier, lequel, sur son lit de mort, lui fait la promesse de bâtir une maison au Paradis. On pense, bien sûr, à la Vierge Marie, épouse de Joseph, charpentier de son état, d’autant que la mission de Cobel est sensiblement identique à celle de Marie : être la « mère...