L’humanité a toujours rêvé d’une planète jumelle à la Terre, avec toutes les conditions nécessaires pour y habiter. C’est la fameuse « Planète B », qu’on ne connaîtra pas de sitôt, quoiqu’en disent les idéalistes. Heureusement, la fiction existe pour assouvir le fantasme : dans Sister-ship, Elisabeth Filhol invente une épopée scientifique vers une nouvelle terre promise. En 1969, l’Homme a marché sur la Lune. En 2097, il marche sur Titan…

Novembre 2082, 133e Congrès international d’astronautique. Dans son discours, Lee Wang annonce un projet sans précédent : partir à la conquête de Titan, la plus grande lune de Saturne. Dans son flot de paroles s’insèrent des extraits du journal de bord des astronautes, quinze ans plus tard, lorsque la mission se concrétise. Une narration astucieuse, où les idées sont directement confrontées à la pratique. Bien plus que l’exposé d’un plan, c’est toute l’histoire de la conquête spatiale mondiale depuis le XXe siècle que l’éminent homme de sciences retrace. 

Si les jalons historiques sont avérés jusqu’en 2024, on a bien affaire à de la science-fiction, à un futur fantasmé, aussi proche de nous dans le temps et si envisageable soit-il. Le tumulte géopolitique mondial est calqué sur le nôtre, les tourments de 2080 sévissent en répercussion directe des décisions actuelles. Parmi mille scénarios probables, la Chine plante son drapeau sur Mars en 2049, pour le centenaire de la République populaire, sur fond d’une rivalité entre nations aujourd’hui en germe.

Lee Wang revient avec nostalgie sur la création de la White Star Line par Lewis Farell, un PDG surdoué aux ambitions sans limites : Elon Musk et son entreprise Space X n’ont que leurs noms de changés. Courir sans cesse après le progrès est pour le milliardaire et ses sbires le but ultime de l’humanité. Ils sont à tel point imprégnés par cette idéologie – qui porte ici un nom, le « New Space » – qu’on en ressent d’autant mieux l’absurdité : « Nous avons la technologie, il nous manquait l’objectif »… 

Un roman sous contrôle

Dans cet univers voisin du nôtre, Elisabeth Filhol a pensé au moindre détail, le dotant d’une crédibilité bluffante. Une mission d’une telle envergure implique un réseau complexe de professionnels, filiales et laboratoires. La moindre sonde d’exploration a un nom. Tout s’articule avec cohérence, insufflant de la vie à l’ensemble. L’autrice invente pour Titan des lois physiques spécifiques, qui façonnent logiquement ses paysages, son climat et ses ressources. La prouesse est de mêler ces données créées avec des données avérées, puisque la planète fait bel et bien partie de notre Système Solaire. Le but n’est pas seulement de prouver un admirable travail de recherche, Elisabeth Filhol préférant dans son écriture un juste milieu entre lexique scientifique précis et vulgarisation.

Les mots sont simples, leur enchaînement logique, le propos concis. Rien n’est laissé au hasard pour qu’on y croit, et cela fonctionne à merveille. Le roman parle d’une seule voix blanche, annulant hélas tout l’intérêt du récit choral. Outre l’écriture ciselée, la trame est aussi infaillible que les astronautes préparés depuis des années à réagir à toute éventualité. Aucun accroc ne vient perturber les rouages bien huilés de la mission. On attend impatiemment les péripéties, si rares qu’elles prennent paradoxalement de l’importance – assaillis sous les catastrophes, on ne saurait où donner de la tête.

Outre l’écriture ciselée, la trame est aussi infaillible que les astronautes préparés depuis des années à réagir à toute éventualité.