Épisode n°1. Débat maintes fois traité au sein des sciences humaines et sociales, la question du libre-arbitre est au cœur des fondements philosophiques et anthropologiques de nos démocraties libérales. La série Squid Game nous offre la possibilité de rouvrir la discussion de manière spectaculaire.
Une deuxième chance pour les plus malheureux. Voilà comment pourrait se présenter le synopsis de la série. Dans Squid Game, un groupe d’individus masqués organise un jeu d’argent pour le divertissement d’une poignée d’homme riches. 456 personnes en situation personnelle et financière critique sont ainsi démarchées dans les couloirs du métro de Séoul. Le recruteur, précisément renseigné sur le profil de ses cibles, sait se montrer persuasif. Seong Gi-hun, comme les 455 autres candidats, rejoint alors le jeu. Le principe est simple : à chaque tour, les joueurs qui ne respectent pas les règles sont éliminés – au sens propre du terme : ils sont exécutés ; le gagnant remporte la somme de 45 milliards de wons, soit à peu près 33 millions d’euros.
Dans Squid Game, le discours des organisateurs s’articule systématiquement autour de deux grandes valeurs chères à nos démocraties libérales : la liberté des joueurs – cette liberté est le fruit d’une volonté non entravée et d’une rationalité fondée sur la connaissance des règles (ici, le terme d’« élimination » est cela dit volontairement équivoque) – et leur égalité supposée face aux diverses épreuves du jeu.
C’est en ce sens que les 456 joueurs signent un contrat, qui les rend responsables de leur devenir, au sens juridique mais également philosophique du terme. L’article 3 dispose par ailleurs que ces derniers sont en mesure de demander un vote pour mettre un terme au jeu, et les deux saisons de la série se penchent précisément sur la possibilité d’y recourir. Squid Game est un système qui se veut démocratique : à la fin du tout premier épisode, les survivants de la première épreuve 201 sur 456 joueurs au départ – votent l’arrêt du jeu, et ce vote est respecté. Aussi, lorsqu’à l’épisode suivant, la majorité d’entre eux reviennent, c’est en totale liberté qu’ils le font. Les joueurs doivent être considérés comme responsables de leurs actes.
Nous portons tous la responsabilité de ce que nous sommes et devenons, car nous sommes libres.
Tout comme dans nos sociétés contemporaines, ce principe de libre arbitre a vocation à responsabiliser les individus. Nous pouvons ce que nous voulons, et puisque notre volonté s’exprime pleinement dans nos choix, elle est la condition de notre existence et de notre liberté. Dans Squid Game, les joueurs sont libres de choisir de jouer, tout comme les citoyens français, selon les mots du Président Macron, sont libres de travailler pour « se payer un costard » et n’ont qu’à « traverser la rue » pour trouver un emploi. Ces représentations font ici écho à la philosophie existentialiste de Sartre : « Si, en effet, l’existence précède l’essence […] il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté ».
Bien sûr, liberté et libre arbitre ne recouvrent pas la même conception philosophique. Toutefois, nier l’influence du déterminisme et d’éléments extérieurs à l’individu revient mécaniquement à expliquer l’existence comme l’application stricte de notre volonté pour un objet de désir reconnu comme bon en lui-même.
Dans cette perspective, le second épisode de la saison 1 est évocateur. Les joueurs, suite au vote, rentrent chez eux. Mais Seong Gi-hun et ses camarades se retrouvent inéluctablement dans la même situation critique que celle qu’ils avaient fuie. Les problématiques que rencontre Seong Gi-hun s’aggravent avec la maladie de sa mère. De même pour Cho Sang-woo, pourchassé par la police en raison de ses dettes, et autour duquel l’étau ne cesse de se resserrer. Finalement, au terme de cette épisode, 187 des 201 survivants décident de revenir au jeu. Et encore une fois, cette décision s’opère en toute connaissance de cause.
La liberté exercée par le héros et les autres joueurs semble correspondre, en ce sens, à la définition du libre-arbitre, formulée par Aristote, dans son Éthique à Nicomaque : le libre-arbitre se compose de la spontanéité du désir (vouloir retourner dans le jeu semble être un désir propre aux 187 participants, personne ne les force à vouloir y retourner) et de la connaissance (les personnages pensent savoir ce qui les attend : s’ils respectent les règles, ils réussiront).
Il est ici aisé d’établir un parallèle avec nos démocraties contemporaines dans lesquelles les individus sont considérés libres et responsables de leurs choix à partir du moment où ils en connaissent les règles – et nul n’est censé ignorer la loi. Les décisions politiques s’inscrivent alors dans cette représentation libérale des comportements humains : les chômeurs sont responsables de leur chômage et il convient de limiter leurs indemnisations pour les encourager à retrouver du travail ; les mauvais élèves le sont car ils ne travaillent pas assez ; les femmes avortent par confort – selon les mots de Marine ...