J’ai rencontré Tiki comme on entre dans un film. Encore trop liée au réel, trop fatiguée, trop moi, trop rangée, trop sobre pour ses murs penchés, pas assez prête à faire semblant de.
J’ai pourtant traversé son couloir parsemé de câbles apparents, de cadres difformes et de mots sur les murs, enjambé des sacs empilés contenant bouteilles vides, clés et portefeuilles confiés avec confiance à la coolitude australienne, pour déboucher dans une cuisine dysfonctionnelle remplie de trois ou quatre groupes d’étudiants. Autant de rencontres intensifiées par leur nature éphémère, qui échangeaient des dialogues protocolaires soutenus par des regards déjà vitreux. Je les ai évités dans un premier temps, pour aller me servir un verre d’eau depuis un robinet boiteux d’où coulait un filet irrégulier. Le mobilier aussi semblait être un abonné de la gueule de bois. En levant mon verre à mes lèvres et mes yeux devant moi, je découvrais à travers la fenêtre ouverte une scène de teen movie californien.
Dans le jardin s’animaient une vingtaine d’invités plus ou moins déguisés, selon un thème opaque que j’avais choisi d’oublier. Les murs de brique du petit carré vert étaient ornés de reliques en tous genres : panneaux routiers, guirlandes lumineuses en forme de vague, planches de surf, casques de vélo, et autres objets dépossédés de leurs fonctions, accumulés au fil des années par les locataires. Ces derniers avaient pris graduellement possession des lieux avec une forme de déchéance tranquille, incarnée et solaire, si bien que le propriétaire, résigné, laissait défiler des vagues de colocataires tous fièrement membres du Surf Club de l’Université.
La deuxième fois, j’étais préparée. « Jeudi, soirée film en plein air », nous avait écrit Carla. Sans savoir si les résidents de Tiki avaient percé leur plafond strié de zébrures héritées de fuites d’eau colmatées artisanalement pour y construire un rooftop, ou s’ils avaient cassé les barrières des jardins voisins pour agrandir le leur, j’y avais finalement découvert un inventif self-made cinéma de rue. S’y installaient avec un flegme non dissimulé une douzaine de membres de cette jeunesse autoproclamée alternative, comme seuls les quartiers nords de Melbourne savent en produire.